10 conseils pour être un vrai routard

Bénarès Backpacker

Entre deux crachats de paan et deux bouses de vache, les ghats de Bénarès…

Il y a un art d’être routard.

Si tu as fréquenté les routes de l’aventure, que dis-je !, si tu as chevauché à cru dans les steppes d’Asie centrale et que tu as arraché à pleines dents la chair tendre d’une jeune noix de coco à même sa coque (ça fait peur dit comme ça hein ?) en Papouasie, tu sais de quoi je parle. Le-routard-le-vrai a une attitude, un uniforme, des signes de reconnaissance : le Routard Staïle. Et en voici les dix clefs…

1. Ne rien préparer

Tout l’art du routard/backpacker réside là : préparer le voyage sans le préparer. Il faut absolument dire que tu pars à l’aventure, que tu n’as rien réservé, que tu accueilleras du pays ce qu’il t’offre à bras ouverts.

La phrase ? « Je n’ai rien prévu, parce que tu vois, prévoir c’est réduire les possibilités d’aventure « . (Nan, tu auras beau chercher, il n’y a rien à rétorquer…)

2. S’habiller comme les locaux

Pantalon baggi et débardeur laissant les bras nus, du décolleté pour les filles et des tatouages pour les garçons. Couleurs chtoniennes et beaucoup de noir, parce que ça fait un peu punk mais surtout on voit moins quand cela n’a pas été lavé depuis un mois, ou lavé dans le Gange. Et si tu pousses la méticulosité jusque là, des dreadlocks. Comme quoi, le routard singe parfaitement les locaux qui sont eux tous habillés… en jean et T-shirt de couleur vive.

La phrase ? « Faire couleur locale, se fondre dans le décor : c’est essentiel pour faire de vraies rencontres humaines » (Et c’est vrai qu’habillé de cette manière tu ne fais pas tâche avec les autres routards.)

3. Manger local

Si le touriste va dans les restaurants et restos d’hôtels « pour ne pas tomber malade » (sauf qu’en réalité il tombera justement malade), le routard se rue lui sur « ce qui fait local » : coussins par terre, lumières tamisées, musique occidentale et de la bière-blonde-fadasse-pas-chère. Suivant les conseils d’autres routards il finit par suivre sans s’en rendre compte l’itinéraire du Guide du Routard (qu’il n’a pas acheté parce que liberté-je-chéris-ton-nom) notre grand pote à tous qui aime sélectionner hébergement et restauration parce que le patron belge a traversé l’Asie centrale à cheval dans les années 1980 avec en tout et pour tout seulement un sac de couchage et douze cartouches de Gitanes sans filtre, ou bien parce que les spaghetti bolognaise de ce boui-boui de Chengdu sont vraiment délicieux.

La phrase ? « Ici les gens ont compris ce qu’est la vraie nourriture, et en plus depuis des millénaires » (On en reparlera après un mois de pollo con arroz péruvien…)

4. Payer moins c’est vivre plus !

La règle est de dépenser le moins possible. Qu’importe le billet d’avion à 600€, la vraie aventure est de vivre chichement : tes moyens sont réduits certes mais surtout, dormir par terre dans une gare routière brésilienne ou sur un matelas infesté de puces pour économiser 1€, c’est là que se trouve la véritable expérience. Ce qui n’est pas faux soit dit en passant. Donc, tu négocieras comme un fou ta chambre miteuse à 150 roupies plutôt que celle correcte à 300 (2€ de différence). Tu en sortiras épuisé, voire malade, mais au moins tu auras dépassé tes limites, économisé et tu récupèreras pendant les deux semaines suivantes sur une plage de Goa en racontant cette aventure. L’initiation a son prix : le plus bas possible.

La phrase ? « Moi tu vois, grâce au voyage j’ai compris que l’argent n’était pas tout. Ce qui importe c’est l’humain, l’humain, l’humain. Mais le rickshawalla n’a pas intérêt à m’entuber… » (No comment).

5. Faire des rencontres formidables

Car les rencontres humaines sont importantes !!! Elles seront tes trophées ramenés de ces safaris du lointain : si tu te contrefiches de la petite Lyuba du bidonville d’Epinay-sur-Seine tu t’es pris de passion pour le petit Ramesh d’un slum de Delhi. Il faut absolument que tu aies eu des conversations très profondes sur le sens de la vie lors de ces rencontre, sans nécessairement parler la langue (quelle considération terre à terre), et cela aura changé ta vision du monde. Et tu t’approprieras toute personne fréquentée plus de 20 minutes : car si l’on y fait des rencontres formidables, on se sent surtout parfois très seul en voyage… Tu pourras désormais parler de « ton » chauffeur de taxi de Tashkent et la rencontre d’un soir à Cape Town sera « ton ami sud-africain ». Et bien évidemment, comme les photos ne sont jamais plus belles que quand un sourire miséreux s’y affiche… si tu ne reviens pas avec la photo d’une famille qui t’appelle « fils » à la fin du thé partagé, c’est que tu as raté ton voyage.

La phrase ? « J’ai découvert la véritable amitié pendant ce voyage. Au fond, tu n’as pas besoin de connaître les gens pour savoir ce qu’est un ami » (Et le takkin il met la viande de boeuf séchée dans la feuille de bananier…)

6. Être un initié

Quand tu rentres, ne jurer que par l’expérience exceptionnelle que tu as faite, de préférence toutes les deux ou trois phrases. Au point où ton entourage commence à se demander pourquoi tu n’y retournes pas immédiatement. Pourquoi tu ne vas pas y vivre. Et pourquoi tu es rentré…

La phrase ? « Il y a quelque chose là-bas qui m’a changé… un truc profond…  » (Eventuellement la tourista ?)

7. Coloniser le toit-terrasse

Il faudra choisir des guesthouses quand tu voyages en routard car bien que le prix et les prestations soient les mêmes que celles des hôtels (mais ça fait touriste, un hôtel), celles-là ont l’avantage incomparable d’avoir des toits-terrasses aménagés en restaurant : excellent argument pour l’hôte, excellent point de retrouvailles pour les routards du coin, on y va donc entre pairs sans être enquiquinés par les petits vendeurs pour bavarder toute la nuit autour de nombreuses bières sur nos expériences.

La phrase ? « Pendant ce séjour à Bénarès, j’ai beaucoup appris en refaisant le monde sous les étoiles » (Et donc en dormant la journée…)

8. Être ultra-connecté

Tu es parti en voyage pour la découverte d’un pays, le contact humain et le choc d’être confronté à de nouveaux codes et modes de fonctionnement. C’est pour cette exacte raison qu’en tant que routard il te faut absolument avoir ton IPod et ton ordinateur en permanence à portée de main, sortir tes écouteurs dès la première minute d’un trajet en bus, ou regarder un film en attendant le train sur un quai de gare. L’ultra-connexion au reste du monde est la meilleure définition du routard…

La phrase ? « Tu vois, pour vivre vraiment les choses, il faut voyager léger : 2 T-shirts, 2 caleçons, un pantalon, ma liseuse, mon ordinateur et mon téléphone » (Moi j’amène aussi du vernis à ongles. Ne jamais oublier le vernis.)

9. Arborer la marque du voyage

Le tatouage de Kao San Road. Le bindi d’Indiranagar. Les tresses collées en revenant du Sénégal. Le mahenni marocain au henné sur la peau. Ou même tout simplement le cheveu gras et long. Le routard doit avoir le signe sur son corps qu’il a osé l’aventure de l’ailleurs et qu’il en revient changé, grandi, plus éclairé et pour cela être marqué, physiquement. Le coup de soleil en revanche ne semble pas avoir la même valeur symbolique…

La phrase ? « Ah nan, je suis végétarienne en voyage, on m’a dit que la viande en Thaïlande, on ne sait pas où elle a trainé. Sinon, tu as vu le piercing que j’ai fait faire à Phuket ? » (Chacun ses peurs hein…)

10. Voir le monde sous un nouveau jour

Il arrive que le routard décide de parachever son voyage en mettant en place un petit commerce. Oh rien de bien présomptueux, juste une petite boutique en ligne, et si on peut glisser quelque part que « les gens sont tellement gentils », que tout ça est équitable voire bio et que ça a été l’occasion de rencontrer des artisans qui rendent super bien en photo : voilà une aubaine parfaite pour vendre de petites babioles qui font bien sur nos poignets, qui nous habillent ou décorent nos intérieurs. C’est d’ailleurs là l’avantage que trouve le routard a (évidemment) être contre la mondialisation : on l’utilise pour financer le prochain voyage où l’on ira à la rencontre de ce qu’il y a de plus humain en nous…

La phrase ? « Le monde m’a tellement donné qu’il faut bien que je lui donne en retour… » (Comme ce site pseudo bobo-équitable sur l’Asie qui te fait payer 25€ un cabas de course coûtant 1,20€ sur place ? Ah oui… La marge est reversée à… ? Non ? Ah bon…)

***

Je caricature. Un peu.

Le voyage routard est une étage du passage de la vie d’adolescent à la vie d’adulte : on s’y confronte au monde pour s’initier et témoigner ensuite, avant de se réinsérer dans sa vie d’origine. Le fonctionnement s’organise autour d’un surjeu du moins cher, du plus galère, du plus typique, en fuyant toutefois l’implication réelle car le routard est de passage seulement et reviendra chez lui confirmé de lui-même. Au final (et cela pourrait concerner presque aussi bien l’Amérique latine, autre région du rite de passage), « le détour par l’Asie [a] pour conséquence inattendue non pas de renforcer les liens entre jeunes de continents éloignés mais bien au contraire de rapprocher ceux qui l’étaient déjà par la contiguïté, l’histoire et la culture, à savoir des jeunes issus de pays industrialisés d’Occident ».

Et ça va, hein, c’est de bonne guerre puisque je connais bien le phénomène. De l’intérieur. Sauf que moi, aimant la vraie bonne bière, je fuis les autres routards…

***

Note : sur cette question du routard/backpackers, deux références passionnantes, l’article de Suzanne Lallemand (à qui j’emprunte la citation de conclusion), « Le voyage en tant qu’initiation à l’âge d’homme : les routards (backpackers) », in Mestre (Claire), Moro (Maire-Rose) dir., « Partir, migrer : l’éloge du retour », Paris, La Pensée sauvage, 2008, ainsi que celui d’Anthony Goreau-Ponceaud, « De l’image au voyage : l’Inde sur la route de soi », in « Articulo », avril 2008.

Au final, on arrive à une situation assez ironique, celle qui voit que « le détour par l’Asie [a] pour conséquence inattendue non pas de renforcer les liens entre jeunes de continents éloignés mais bien au contraire de rapprocher ceux qui l’étaient déjà par la contiguïté, l’histoire et la culture, à savoir des jeunes issus de pays industrialisés d’Occident »[1].

Rite d’initiation – pas d’implication – confirmation de soi.


[1] Lallemand (Suzanne), « Le voyage en tant qu’initiation à l’âge d’homme : les routards (backpackers) », in Mestre (Claire), Moro (Maire-Rose) dir., Partir, migrer : l’éloge du retour, Paris, La Pensée sauvage, 2008.

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7 commentaires

  1. J'ai ri !
    Les guesthouse en profitent bien en retour, les backpackers sont leur gagne-pain. Idem pour le rickshawala qui t'amène dans sa maison pour rencontrer sa femme - de l'expérience de vie au bon plan marketing, il n'y a qu'un pas.

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  2. Tellement vrai!!!Ces routards à la noix me hérissent!!!Ici en Drome on se les coltine aussi,ceux qui reviennent de voyage,encore tout illuminés.Et souvent viennent prendre la tete de Mister India (un frère,quoi pffff)pour lui dire a lui que l'Inde c'est comme ça et que la -bas il faut faire comme ça parcequ'un pseudo prof de yoga ,guru à trois balles a déclarer ça.Ils viennent avec leurs cartes surlignées,leur adresse de guesthouse supertop!Et EUX connaissent ce pays comme leurs poches et savent comment ce pays fonctionne.Vite fuyons!!!!!

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  3. Ah J'adore ce billet j'adhère à 100 % ! Leur crasse, leur aveuglement, leur prétention à crier haut et fort qu'ils connaissent mieux l'Inde que n'importe qui... Il faut du temps pour apprendre à connaître un pays en non 3 semaines de backpacking au rajasthan... Ce qui m'ecoeure le plus ce sont ceux qui embarquent leurs mouflets dans ces galères insalubres...

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  4. La description est acide... mais c'est ça. J'ai bien souri, ri, un peu jaune aussi.
    Goa, grande réserve de routards. Retours de Pushkar. Passage obligé à Rishikesh...
    Les backpackers qui ont des pb de budget, le disent à l'indien qui les accueille dans la guest house, et négocient le prix de la chambre pour gagner 50 roupies - moins d'un euro. Il y a moins de touristes cette année, l'indien accepte - comment refuser ? C'est con, ces roupies qui font la différence pour un indien, mais j'ai plus de mal à le croire pour un possesseur de ipad, ipod, un buveur de bière, de rhum, de whisky coca, chaque soir seul dans sa piaule avec la musique occidentale qu'il transporte partout avec lui. Les colis aussi envoyés à la maison, avec des bijoux, des objets d'artisanat...
    J'en soupçonne aussi un certain nombre d'être adeptes, chez eux, des produits équitables.
    C'est vrai qu'ils sont jeunes, pour la plupart.

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    • @Nathalie : il y a sans aucun doute à la fois de la naïveté (vouloir des produits équitables dans son supermarché/se battre pour avoir 50 roupies de réduction) et une absence de vision globale des choses, un manque de recul. Peut-être dû à l'âge oui, ou bien à l'Inde qui induit des comportements assez étonnants chez les voyageurs (les seules fois où j'ai retrouvé ces comportements c'est en Amérique latine, le sentiment de proximité implique que l'on s'autorise plus facilement certaines choses).

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