[Je republie ce billet en lien avec l’exposition Exposed actuellement à la Tate Modern de Londres.]
Le Barbican Arts Centre. Cet énorme complexe culturel qui rassemble une galerie d’art, des salles de conférence, un théâtre, une bibliothèque, des cinémas et des restaurants. L’ensemble du quartier, situé dans la City, a beaucoup souffert des bombardements de la Seconde Guerre mondiale mais a eu la chance de bénéficier d’une reconstruction originale : tours d’appartements en briques reliées par des ponts et des places surélevés où s’épanouissent jardins, pièces d’eau et jeux pour enfants et où circulent les piétons, l’étage inférieur étant réservé aux voitures… Mais au-delà du réel intérêt historique et architectural du lieu, quelle était donc la VRAIE raison de notre venue ici, à une heure aussi tardive, juste à l’arrivée de l’Eurostar, avec nos sacs ? Il faut bien l’avouer, ce qui guidait nos pas c’était… le sexe.
Oui, n’y allons pas par quatre chemins : l’exposition Seduced : Art and Sex from Antiquity to now est interdite aux moins de 18 ans. Et c’est bien la seule occurence de puritanisme dont j’aurais été témoin ce soir-là (et cette restriction est assez dommageable, finalement, à la réflexion que devrait entretenir tout adolescent sur le sexe, l’image du sexe et la pornographie : pourquoi donc, encore aujourd’hui, marquer au sceau de l’opprobre ce type d’exposition ? J’en suis encore étonnée…).
Toujours est-il que nous ne savions pas très bien à quoi nous attendre : quelques objets et peintures érotiques ? Déjà mille fois vues ? Auxquels s’ajouteraient quelques objets puritains destinés à cacher ce qui ne doit être montré ou vu ? Hihihi, que nenni : nous étions jeunes et innocents en imaginant cela… Pour faire cru, de nouveau, voilà qui donnera une idée de l’ambiance générale de l’exposition :
Tracey Emin pose bien la question, n’est-ce pas ?
Le sujet, la représentation du sexe, est brillament posée, problématisée et mise en scène : que permettons-nous d’être représenté et affirmé de l’acte sexuel ? Que ressentons-nous à la découverte de ce que l’autre pense du sexe, de ses fantasmes, de ses émois et de ses peurs ? Et finalement, la question « où la pornographie commence-t-elle ? » devient subsidiaire.
On est alors heureux dans ce parcours initiatique de s’avancer dans le connu vu sous un jour nouveau (Rembrandt, Picasso, Duchamp) et de plonger, par instant, dans l’inconnu. Des objets romains et grecs fort explicites sur l’amour hétérosexuel ou l’initiation de jeunes disciples à l’amour, on retient un regard assez joueur (satyres et nymphes, positions acrobatiques sur les murs d’une villa de Pompéi et autres Priapes surdimensionnés…). Puis viennent les miniatures indiennes du XVIème siècle, mogholes pour la plupart donc musulmanes, révélant des talents acrobatiques incroyables de la part des participants. Mais je précise qu’ici, les participants ne sont que deux, et sont toujours un homme et une femme. Ce qui n’est pas le cas dans les miniatures japonaises : quelque puissance monstrueuse qui jaillisse du « Rêve de la femme d’un marin » d’Hokusai, les autres estampes et dessins sont de nature bien plus subtiles. Parfois, on met longtemps avant de voir qu’il s’agit de deux hommes ; bien sûr, quand il n’y a qu’un homme et plusieurs femmes, le peintre s’est chargé de le montrer de manière très claire. Plus suggestif, la culture très hygiéniste déjà de nos amis japonais : une des parties fines peintes montre le sol jonché de mouchoirs blancs utilisés… Et toujours une peinture extrêmement, et quand je dis extrêmement cela veut dire extrêmement, précise et détaillée des parties génitales de ces dames et de ces messieurs. Le regard perçant, jusqu’au bout…
Ensuite, un gros vide : la période du XVIème au XIXème siècles inclus. Nada. La création du concept de pudeur, la pudibonderie et la pruderie apparaissent, ainsi que les faux-bons sentiments qui réduisent d’autant l’intérêt de ces siècles « purs »… OK, admettez que sans Beaumarchais, Crébillon et Sade, le XVIIIème ne serait pas folichon ! Pour se dérider et changer des vases de Sèvres dépeignant des scènes d’une mièvrerie à pleurer, « Léda et le cygne » attribué à Boucher ravit par son audace : « L’Origine du monde » de Courbet n’a qu’à bien se tenir !!!
On passe ensuite à des choses plus contemporaines donc, avec une lecture du Kama Sûtra en passant, il n’y a pas de raison de s’en priver ! Et c’est tout d’abord une gigantesque collection de photos d’actes sexuels variés, rassemblée par un universitaire américain, le docteur Kingsey, pour catégoriser tous les comportements sexuels possibles depuis l’apparition de la photographie : on y voit des couples hétéro- et homosexuels, les codes de classements sont forts mystérieux (FEL HET, FEL HOM, ACT SEX ORDIN, ANA SEX HET etc…). Tout, absolument tout est montré, détaillé, pris en photo sans qu’on y voit à mal : des photos souvenirs (genre : la première prostituée de tel soldat en 1915, ou encore : « ça y est, j’ai réussi à me la faire sur le siège arrière : la preuve ! »). Si avec tout ça je ne suis pas répertoriée comme site porno…
Puis, montée au second étage : et là, c’est du sérieux. Passons les esquisses tout à fait exeptionnelles et inconnues de moi de Picasso dépeignant Raphaël en train de faire des galipettes avec la Fornarina au Vatican sous l’oeil (étonné ? complice ?) du pape, quelques dessins de Klimt et Schiele et installations de Duchamp, nous arrivons aux éléments centraux de l’exposition : là où ça dérange (chaque salle est alors précédée de la mention : « attention, les images présentées ici peuvent choquer certaines sensibilités »). Les photos de Robert Mapplethorp : scandale, fétichisme et sadomasochisme… scandale, mais tellement intéressant sur notre vouloir-voir sans vraiment le vouloir. Au détour, deux vidéos sur l’orgasme, perçu par le spectateur uniquement sur les traits du visage : Blowjob d’Andy Warhol, long et statique, puis k r buxey, Requiem. Un moment artistique d’une très grande et intense beauté, sincèrement !
Requiem, de k r buxey, et Blowjob d’Andy Warhol.
Découverte troublante, cette série de photos grand format de Jeff Koons, se mettant en scène lui-même avec la Cicciolina. Intitulée Made in Heaven, le glamour s’y mêle à la crudité des prises de vue, et à l’étrangeté de positions où les deux personnages sont en réalité seuls dans leur plaisir, regardant vers un ailleurs (Dieu ?), vers l’objectif ou dans le vide… A voir sur son site Jeff Koons, mais attention : âmes sensibles s’abstenir (ne vous laissez pas berner par la photo des gentils animaux gonflables, après c’est moins Disneyland ; enfin si, mais bon, c’est pas le même Disneyland…).
Découverte plutôt déroutante avec la Chine cette fois-ci : des Peintures érotiques du Palais du Printemps (déjà passées par le musée Cernushi à Paris en 2006). Si les positions y sont sexuelles, on ne pas le nier, une pudeur et une retenue tempère l’ardeur du peintre à représenter les actes sexuels. Les personnages sont souvent à moitié habillés, le bas du corps étant dénudé et, parfois seulement, les parties génitales détaillées. Et là, surprise : les pieds des femmes sont voilés !!! On distingue seulement le bout extrêmement pointu des chaussures pour pieds bandés. Alors qu’il est prétendument signe de beauté, on refuse au pied féminin d’apparaître en pleine lumière, dans un moment d’intimité ; et le peintre refuse de le reproduire dans sa triste vérité, nu et broyé. L’intérêt ici est extrêmement fort : la douleur, la cruauté, la vilenie qui indigne n’est pas dans la sexualité où on l’attendait mais ici (peut-être est-ce cette partie qui est interdite aux moins de 18 ans…). Un moment de tabou dans une exposition sans tabou.
Enfin, bien plus drôle, un superbe slideshow de Nan Goldin sur des couples et leur manière de vivre leur sexualité au quotidien. Deux jeunes amoureux, un couple de trentenaires avec enfant, un autre couple plus âgé, un couple d’homosexuels… Et tout à coup : mais, cette configurations d’appartements, ce train, ces parcs, ces cigarettes ??? Mais oui, mais c’est en France !!! Mouahahahahaha !!! Tous ces couples qui s’éclatent à qui mieux mieux, parce qu’il faut bien dire qu’ici le sexe règne décomplexé et assumé pleinement, en toute sérénité. Cette oeuvre, Heartbeat, aurait pu s’appeler « L’Amour à la française » (mais oui, rappelez-vous : les Fatals Picards…).
En conclusion, une exposition libératrice et … jubilatoire !!!
C'est rien par rapport au culte de la pornographie dans les temples hindous : )
Sinon il y a l'album de Black Milk qui est sorti debut de semaine!