Bombay ensanglantée. Encore…

Mumbai DNA 13 juillet 2011

La Une du quotidien « DNA », 14 juillet 2011.

Alors oui, je suis en colère.

Les mois précédents mon installation en Inde, j’ai découvert ce pays en voyageuse.

Un mois de juillet durant lequel 8 bombes explosaient à Bangalore et 17 touchaient Ahmenabad le jour suivant. Puis ce furent six bombes à Delhi, puis une autre et encore une dans une mosquée du Gujarat. Et une autre dans un marché de la banlieue de Bombay. Pendant ce temps, une vingtaine d’explosions endeuillaient les Etats du Nord-Est. Au mois de novembre, je m’installais à Bombay avec l’insouciance d’une jeune expatriée et avec cette méconnaissance que crée la distance et l’impression diffuse que Karachi, Lahore, Colombo ou l’Inde, c’est un peu la même chose. Des marchés grouillants, des volutes de fumée, des cris et des visages déformés par la douleur. On y devient indifférent. Huit jours après mon arrivée, les attentats du 26 novembre 2008 terrorisaient la ville durant trois jours. 166 morts, des mois et des mois de deuil, sous toutes ses formes.

Trois jours où toutes les échoppes, tous les magasins étaient fermés, les klaxons muets, les trottoirs vides. Une ville de 19 millions d’habitants qui retient son souffle, c’est impressionnant je t’assure. Cela marque. Bombay silencieuse pour moi, c’est Bombay qui a peur. Bombay ville morte.

Les attentats d’avant-hier à Bombay n’ont pas eu beaucoup de poids face aux autres titres de l’actualité hors d’Inde. Il faut dire que sans Occidental tué ou blessé, les télés occidentales comme indiennes n’y trouvent pas leur compte de pathos. Ce n’est qu’un autre marché-volutes-de-fumée-visages-déformés.

Mais je suis encore plus en colère.

Parce que ce n’est pas comme si l’Inde ne s’attendait pas à des attaques terroristes. Ce n’est pas la stupéfaction du 11 septembre, non plus que la surprise horrifiée de Madrid ou de Londres.

Les attentats en Inde visent spécifiquement des cibles civiles, au coeur des villes et dans les trains, à l’heure de pointe. Faire un maximum de dégâts humains pour faire entendre une cause bien plus souvent intérieure, liée à des tensions communautaires et religieuses, qu’extérieures comme les chantres de la guéguerre avec le Pakistan voudraient le faire croire. Des attentats, il y en a dans tout le pays. Guwahati, Delhi, Bangalore, Jaipur, Hyderabad, la liste est longue. Et ceux qui ensanglantent le Cachemire ou les Etats où sévit la guérilla naxalite ne sont pas différents, ce pays où nous vivons, nous y voyageons. Pour le découvrir ou pour affaires. Nos amis indiens y ont leur famille. Des amis indiens et occidentaux y voyagent pour le plaisir. Et des gens y vivent tout simplement…

Parce que l’Inde est une démocratie stable et n’est pas en guerre, alors comme partout ailleurs où le terrorisme peut frapper, nous continuons à vivre.

Mais pour te donner une idée, sans vouloir minimiser l’insécurité ressentie en Occident mais parce qu’en réalité, ça n’a rien à voir avec celle vécue en Inde… imagine-toi que depuis que j’y vis, moins de trois ans, 223 personnes ont été tuées dans des attentats. En moins de dix ans, 508 personnes ont été tuées à coup de bombes seulement à Bombay. Et 1 232 en Inde. Alors non, des attentats en Inde, à Bombay, ce n’est malheureusement une surprise pour personne.

Et pourtant, en Inde, on te fait chier avec la sécurité. Les médias, des plus nationalistes et cocoricauseurs, vantent de nouvelles méthodes, de nouveaux moyens, l’efficacité et la grande compétence des services secrets indiens. Hahahah ! Rien à voir avec ces lopettes de Pakistanais…

Et au quotidien, à chaque pas, chaque jour, ces carrefours et bâtiments officiels gardés, sacs de sable et fusils braqués. Tes bagages sont scannés à l’arrivée à l’aéroport (pratique aussi pour récupérer les bouteilles d’alcool…), on surcontrôle tes sacs, validés d’une étiquette tamponnée qui sera recontrôlée au moment d’embarquer… mais pour les vols intérieurs, on ne vérifiera pas ton identité. Ta carte d’embarquement doit être présentée à la descente d’avion si tu descends à une escale. Les grands hôtels ne sont pas en reste, non plus que les shopping centres : sacs scannés et ouverts, portiques qui sonnent mais aucun contrôle pour autant, et contrôle corporel parfois. Et le dessous comme l’intérieur de ta voiture seront scrutés avec un miroir, un chien et deux ou trois agents de sécurité qui ouvriront coffre, capot, portières et boîte à gants.

Oui, la sécurité, la surenchère sécuritaire, c’est bon on connaît à Bombay. Ce n’est donc pas une question de moyens non plus que de présence.

D’où ma colère extrême.

Le gouvernement indien multiplie les discours de convenance, les condamnations. Multiplie les appels au calme aussi, à ne pas croire à la provocation. Car le gouvernement craint plus les émeutes communautaires qui ensanglantent régulièrement l’Inde et Bombay que les attentats au final. C’est sûr que les morts se comptent encore plus rapidement par centaines en cas d’émeutes. Personnel de sécurité, policiers, militaires en faction, gardiens, grilles, partout. Faire rouler les muscles sous la chemise kaki comme on roule l’extrémité d’une moustache devant son miroir. Beaucoup de gloriole et pas grand-chose dans le caleçon…

Les bâtiments officiels sont pour la plupart fermés au public, et les espaces publics de Bombay sont dans un état de siège permanent. Parce qu’il est plus simple et plus racoleur de faire étalage d’une pseudo-sécurité que de réellement avancer en la matière. Si le renseignement indien ne peut infiltrer un groupuscule comme les Moudjahidine du Deccan ou la guérilla naxalite avec comme conséquence la prévention des attentats, comment croire qu’il puisse faire quoi que ce soit contre des groupes bien plus solides comme LeT ou autres.

Hier, le Premier Ministre affirmait que l’on ne pouvait imputer quoi que ce soit aux services de renseignement, aucune erreur, aucune faute. C’est inadmissible. Le fait qu’il y ait un seul attentat dans n’importe quel pays prouve DEJA qu’il y a eu faute des services de renseignement. Parce que la fonction première de l’Etat est de protéger ses citoyens.

Et en laissant de côté les problématiques complexes du renseignement, la sécurité en Inde reste une grosse baudruche qui se dégonfle d’une pichenette. Le Chief Minister du Maharashatra n’a pu joindre ses officiers supérieurs pendant 15 minutes après les attentats parce que le réseau téléphonique était saturé. C’est à l’image de tout le reste. Et finalement, cela ne fait que rappeler des barrages filtrants au sud de Bombay maintenu une heure seulement après les attentats par des policier ne filtrant rien et sans gilets pare-balles.

Un amateurisme qui laisse un goût amer. Et rappelle qu’il y a trois ans, un sac rempli d’explosifs était découvert dans la gare de VT. Trois jours après que la gare a été attaquée par les terroristes. Les sacs abandonnés dans la panique avaient été rassemblés dans un coin. Sans être fouillés…

La sécurité en Inde est un bon fond de commerce. Pour les gesticulations des politiques, pour attiser une rancoeur contre le Pakistan qui justifie des dépenses militaires somptuaires.

Et si tu n’as passé ne serait qu’un contrôle de sécurité, un portique ou un contrôle d’identité, tu sais que la sécurité des civils en Inde, on s’en tamponne.

Mumbai Hindustan Times 27 novembre 2008

La Une du « Hindustan Times », 27 novembre 2008.

Comme un fil conducteur…

HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)

4 commentaires

  1. Tu as tout a fait raison,ces sacs de sables a l'aéroport,devant les batiments administratifs etc ...c'est de la pure foutaise.Et ces flics affalés toute la journée qui em...des pauvres gars qui triment juste pour leur faire sentir que LUI a un uniforme.Et ces avis de recherches placardés partout avec des pseudo -portraits robot ,je défis quiconque de reconnaitre le terroriste représenté!!
    Oui ,l'Inde est un pays dangereux(quatrième au monde je crois, en terme de terrorisme).Des villes comme Bombay ou Delhi sont comme du pain bénit pour les organisations terroristes,il y a la population (pour recruter,et tuer)les failles en tous genres dans l'urbanisme meme ainsi que dans le systeme de défense.
    je pense que lorsque l'on s'installe dans une de ces villes,ça n'est pas forcément a ça que l'on pense en premier.Je ne sais pas comment je pourrais vivre avec ça.Comment le vis-tu au quotidien?oublies -tu ?changes-tu tes habitudes ( aussi sur le long terme?)?bon courage ,je pense fort a toi et aux autres blogeuses que je lis(blogi etc...)

    HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)
  2. Et tu vois tu me l'apprends qu'il y a eu un attentat...je sais bien que ces derniers temps je suis un poil déconnectée de tout mais ça n'a pas du faire beaucoup de temps d'antenne en France.
    J'espère que vous allez bien Tac et toi...

    HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)
  3. Bombay ! Bombay outragée ! Bombay brisée ! Bombay martyrisée !
    Je suis sûr que les expats avaient sorti ça non?

    HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)

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