Ego trip II : Recentrage

A la question « pourquoi voyages-tu autant ? », je réponds bien souvent comme ICI que cela permet l’abandon de soi, un lâcher-prise sur ce que l’on contrôle et l’obligation d’accepter tout tel que cela vient sans se poser de questions, sans lutter, en se modelant sur ce que le voyage nous propose et nous impose.

Bien souvent aussi, je garde pour moi les raisons plus profondes qui me poussent au voyage.

Libération

Il y a certes la force de l’habitude et l’effet d’entraînement : plus on voyage, plus on a envie de voyager. Partir près ou loin, les billets d’avion souvent moins chers que ceux de train, l’organisation facilitée par Internet, il n’y a pas réellement de raison de se priver si ce ne sont l’argent, le temps et la fatigue. Voyager n’est plus exceptionnel, n’est presque plus un luxe. Et plus on découvre, plus on veut revoir : une amie m’avait dit il y a quelques années « si tu voyages autant maintenant, tu n’auras plus rien à découvrir plus tard ! »… Interloquée. Vadrouiller, visiter, découvrir, se balader ne signifie ni corrompre ni gâcher. C’est même plutôt un antipasti, un préliminaire, un avant-goût de l’ailleurs qui ne donne qu’une envie plus profonde d’y retourner, de revoir, avec même une constante : si découvrir est passionnant, revenir sur ses pas et retrouver des lieux déjà connus est un plaisir parfois plus intense encore. Car il y a des endroits où il fait bon se sentir comme chez soi.

Il y a le personnage qui se fond avec la personne aussi. Chouyo-moi-ce blog est indissociable du voyage, et la phrase « Chouyo, là ? Oh, elle doit être en voyage » sonne comme une évidence… Le rôle me colle à la peau, je m’y love avec délices, et cela me pousse d’une certaine manière à continuer de voyager, à insuffler dans mon regard l’ailleurs et l’autre quand bien même le personnage soit toujours un peu décentré par rapport à la réalité.

Et il y a le besoin viscéral et instinctif surtout.

Une sorte de brûlure au fond du ventre, qui s’apaise en partant et en revenant, et en repartant et en revenant à nouveau. J’avais parlé un jour de cette errance inscrite en moi, dans mes gênes presque, qui me pousse à l’aller-retour. Celui-ci a structuré chaque semaine week-end vacances et fêtes depuis ma petite enfance, soigneusement comptabilisés et répartis, impliquant le sac qu’il faut remplir puis vider chaque semaine, et l’idée fondamentale que la vie s’organise autour de cycles et de relativisme : ce qui se fait là ne se fait pas ici, le regard adulte sur les choses est toujours double, triple voire quadruple. Et qu’avant d’arriver à être une, je dois subir le multiple et apprendre de lui. La garde alternée qui m’a été imposée petite par les aléas de la vie portait de fait en elle ce germe du voyage, avec des accrocs et des gouffres mais aussi l’idée salvatrice que, quand viennent les moments du départ et de l’arrivée, on s’apaise.

Alors, au risque de décevoir le bobo-cosmopolite-voyageur avide d’un prétendu « esprit de découverte », dans mon univers le voyage n’a pas pour finalité la découverte de l’autre, l’ouverture au monde et la découvert de soi. Cela l’est, par ricochet, et c’est heureux. Même si en réalité c’est prétentieux : cette manière d’envisager le monde n’est pas réservée aux voyageurs, fort heureusement. Et j’irai jusqu’à dire qu’en réalité voyager renforce un certain conservatisme, des pratiques préjugés habitudes qui sont rien moins que refermées sur elles-mêmes car ne nous voilons pas la face : le voyageur est de passage, observateur éventuellement mais très rarement acteur. Bien plus passif qu’actif et sans doute bien plus imperméable au changement qu’il ne veut bien le donner à voir.

Dans mon univers, le voyage est la bulle de protection que je m’octroie.

Que je conquiers et protège et défends bec et ongles. Et c’est pour cette raison que m’entendre questionnée sur le « autant » me heurte… Voyager c’est être inaccessible : être une seule, moi, totalement égoïste et non plus écartelée. Ne plus être en transit mais en reconstruction. N’avoir aucune contrainte que celles que je m’impose et qu’impose un voyage qui me plaît (visiter tels endroits, prendre du temps pour m’approprier et bavarder, m’être astreinte à parcourir des centaines de km en bus de nuit ou avoir attendu des heures dans la moiteur d’une gare pour un paysage, une expérience ou le simple sentiment de m’être dépassée). Une extraction salvatrice du quotidien et de ceux qui ont un jour aspiré mon énergie, plus d’appels plus d’attentes plus de psychodrames. J’ai compris enfin pourquoi le soleil, les îles, le luxe m’importaient peu : ils ne sont pas le voyage en tant que tel, l’inaccessibilité l’est en revanche.

Et le retour ? J’avoue de ce fait n’avoir jamais compris ou ressenti la déprime post-voyage. Le retour est pour moi une sensation grisante : pas de lourd retour plaintif oh-c’était-mieux-en-vacances. Mes voyages sont souvent épuisants, itinérants, levers très tôt, couchers tardifs, une garde-robe réduite à quelques habits et un sac sur le dos, des livres que l’on relit, du nomadisme. Revenir est alors comme dans mon enfance une fête : je retrouve la matrice, je me réfugie dans mon chez-moi après avoir crapahuté dans le monde. Je me suis ressourcée ailleurs mais je me refonde en revenant. Un lit et une couette que l’on aime, sa propre douche avec de l’eau chaude, cuisiner à sa manière sans plus avoir à s’adapter, ne pas monnayer toute chose, ne plus décider ou choisir : les contraintes sont désormais extrinsèques, travailler ou se rendre à ses rendez-vous ou payer les factures, il y a une certaine douceur à se laisser guider.

Voyager est, dans le départ comme dans le retour, un moment de toute-puissance pour moi. Je m’extraie et me protège, reprends le contrôle et me prépare un retour qui comme dans mon enfance sera attendu et fêté.

Chacun a ses stratégies de fuite qui lui permettent de survivre, l’alcool, le tabac, les médicaments, les drogues, la nourriture.

Moi j’en ai deux, et l’une d’elle est le voyage.

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3 commentaires

  1. WAOUH mais c'est EXACTEMENT CA !!! j'y avais jamais pensé, tellement de gens partent en se vantant de la découverte de l'autre, d'une immersion dans une autre culture (mon oeil, ce sont souvent les premiers à chercher frénétiquement des yaourts au buffet de l'hotel) que je pensais que c'était un peu ça qui me motivais aussi. Mais non, en vrai c'est également aussi une déconnexion, une rupture avec le quotidien et c'est vrai que j'ai toujours été contente de rentrer chez moi de retrouver mes habitudes et mon cocon.

    MERCI ! grâce à toi je viens de comprendre que je ne suis peut être pas la seule à prévoir un nombre élevé de voyages par an (par mois parfois) : des week end, des courts ou long séjours comme si je ne pensais qu'à fuir la capitale mais à sourire de toutes mes dents lorsque j'aperçois la tour Eiffel du train ou de l'avion qui me ramène chez moi - et ceci même après avoir passer d'excellentes vacances.

    HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)
  2. Pareil, tout pareil : j'aime autant aller voir ailleurs si j'y suis que revenir au port. Et la drogue du mouvement, ne serait-ce que pour le plaisir du projet... rah, irremplaçable ! 🙂

    HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)
  3. Hein... mais le soleil, les îles, le luxe, c'est sympa aussi, mais si, tu verras 😉 Sinon, heu j'ose?! J'espère que ta garde-robe sera plus que réduite lorsque tu pointeras ton nez par chez moi, sauf dans les mosqués ou alors on se fera lyncher, re 😉 (Nan j'ai pas osé! Si! Ah nan, mais nan, alors quoi!)

    HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)

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