En marche funèbre – Dystopie d’un futur cadenassé

Oh, un blaireau ! Et il regarde vers l’avenir de l’arrière !
Cette espèce en voie d’apparition est incroyable

[Toute ressemblance avec des faits répertoriés, vérifiés et disponibles serait une étonnante coïncidence.]

Cela commencera avec de l’affichage. Un drapeau et un hymne sanctifiés, imposés dans les salles de classe. Un service national réintronisant l’uniforme comme avenir souhaitable, ponctionnant le budget d’une institution déjà malade. L’art consommé de créer du brouillard, d’emberlificoter les concepts et d’ennoyer les oreilles de vÂleurs au préalable vidées de sens. Le hold-up qui n’aura cure des élèves mais visera les électeurs en flattant leurs réflexes très à droite. Il faudra ensuite achever la recherche exsangue, faire disparaître en les fusionnant-écartant-désubventionnant les missions sur la pauvreté, les prisons, les sectes, d’évaluation des politiques éducatives tout en enterrant corps et âme l’Éducation prioritaire.

Ce sera beaucoup d’indignation pour rien, n’est-ce pas. Et puis, qui se sentira vraiment concerné par tout cela…

Cela commencera avec un suicide. Une femme épuisée par les injonctions incohérentes d’une administration qui aurait choisi d’ignorer les signaux d’alarmes de plus en plus insistants du terrain. Le reproche que l’on s’adressera à soi quand, s’occupant des autres et surtout des plus fragiles, les moyens seront réduits, moqués, rognés, niés, retirés. La marque indélébile sur un lieu de travail de la violence que celui-ci aura fait subir. Ce sera une école, ce sera Christine. Mais le deuil devra être rapide, car le deuil sera désormais un peu « s’acheter de la générosité à bon prix, sur le dos des entreprises » ou de l’Etat disruptif.

Ce sera beaucoup d’émotion populaire, n’est-ce pas. Celle d’un peuple un peu niais, toujours lent à comprendre la Grande Vision Transcendante. Le peuple qu’il faudra décidément embrigader ou, à défaut, broyer.

Cela commencera avec des aurores où, à l’entrée des établissements scolaires, il y aura la police matelassée de pied en cap en noir bleuté, casques, boucliers, matraques. Un jour du gaz, un autre des coups. Des enseignants aspergés à pleurer devant un rectorat, des lycéens gardés à vue une nuit avant d’être déférés, des candidats au bac escortés par des policiers quand d’autres seront tout bonnement séquestrés.

Cette chienlit n’aura que ce qu’elle mérite, n’est-ce pas. Un avant-goût du mitard leur apprendra la vie. Et sinon, on créera des lieux d’éducoercition. En toute bienveillance.

Cela continuera. Des soignants assis en pleine rue s’injecteront de l’insuline. Une femme s’appellera Zineb. Des pompiers simuleront une immolation pour dire leur colère. Un jeune homme se prénommera Steve. Des chefs de service hospitaliers démissionneront en masse. On taira les noms de Theo, Adama et bien d’autres. Des journalistes harcelés seront accusés d’être « militants » avec un air de dégoût alors que, durant des heures sur les télés et les radios, des chroniqueurs déverseront leur fiel et leur connivence avec le monde de ceux pour qui « ce n’est pas pareil ». Ceux qui, ayant fui la justice ou accusés d’avoir détourné des fonds publics, s’avanceront en costume, bien coiffés, auréolés du charme du bandit au regard de braise avec lequel on est avide de partager le frisson des salons. On exigera de ceux dont l’espoir s’amenuisera d’arrêter de râler parce que « ça va bien, hein ». On récusera les mots « violence » et « pénibilité » sans avoir jamais expérimenté l’une ou l’autre. On ricanera devant le public d’un accent populaire ou d’un T-shirt acheté au marché du coin. On confondra dans un tsunami médiatique jamais questionné laïcité, paillasson, blasphème, torchon, pourvu que l’Islam soit évoqué au bon moment avec un ton préoccupé.

Certains découvriront effarés qu’un homme pourra mourir lors d’un contrôle policier, que des armes de guerre seront utilisées pour maintenir l’ordre, que des méthodes policières seront légitimement questionnables et ce, depuis des années. Que manifester sera devenu dangereux pour la population et ce, depuis des années. Les banlieues en avaient fait les frais, mais bon, les banlieues… La ritournelle continuera : mains arrachées, yeux crevés, tu n’avais qu’à pas manifester. Parce que manifester c’est provoquer. Comme expliquer, qui est un peu vouloir excuser. N’est-ce pas. Et puisque tu n’auras rien à cacher, tu ne contesteras pas la nécessité de la reconnaissance faciale, du fichage des données, de la censure de propos sans intervention judiciaire. Les contestataires deviendront des empêcheurs de marcher en rond, les losers qui n’appartiendront pas au futur lumineux des startupeurs qui disruptent les cerveaux et te susurrent ce qu’un autre dira tout haut : que les râleurs aillent voir en dictature pour en prendre de la graine.

Mange ta soupe, il y a des enfants dans le monde qui meurent de faim.

La Fontaine nous dit de nous défier de ceux qui soufflent le chaud et le froid. En même temps. Nous disons être pour, nous ferons le contraire. Nous savons ce qui est bon pour vous, et si vous n’êtes pas pour c’est que vous comprenez mal. Nous disons « oui » devant les caméras, et c’est un non ricanant à l’arrière-scène. Et on dit « oui, papa », sinon il y aura débauche de vÂleurs et de grenades. Vous l’avez vanté, vous l’avez révéré, vous l’avez voulu, vous l’avez élu. OuiOuiMaisNon le Biennommé. Il faudra boire le calice jusqu’à la lie.

Dans un futur cadenassé.

HIIIIIIIIIIIII !!!(5)Boah...(0)

2 commentaires

  1. Texte glaçant qui décrit pourtant notre nouveau quotidien. J'ai pleuré en le lisant devant mon sentiment d'impuissance devant des dirigeants qui s'octroient le droit de vider de toute substance ce qui pour moi avait du sens. J'ai la nausée quand j'essaie d'entrevoir l'avenir de notre société passée à la moulinette par ces monstres d'égoïsme qui méprisent tout ce qui n'est pas source de profit. J'ai une rage froide qui finira par m'étouffer si je ne l'exprime pas d'une manière ou d'une autre... Merci à vous de traduire avec des mots ce que je n'arrive pas à exprimer avec votre force. Bon courage dans votre combat de professeur !

    HIIIIIIIIIIIII !!!(3)Boah...(0)
  2. c'est finement éclairé
    c'est remarquablement dit
    ça glace

    comment ou Ok pour transmettre sur facebook ?
    merci

    HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)

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