Quand j’étais jeune fille au pair.

And_God_created_the_Au_Pair

Il fut un autre temps où j’étais jeune fille au pair. A Londres, j’avais vingt ans. Mais le cliché s’arrête là : pas de queen’s english, pas de marmelade d’orange, pas de shortbreads au tea time. Pas de tea time tout court, d’ailleurs…

Loin des beaux quartiers, la famille rencontrée par le biais d’une petite annonce de Libé (ahhhh, les petites annonces de Libé !) et qui, sitôt contactée, m’a engagée pour la semaine suivante, loge dans les anciennes banlieues ouvrières du sud de Londres. Là où se sont installés les migrants pakistanais notamment. La famille n’a donc rien de la famille anglaise attendue, non plus que de la famille pakistanaise : le père est certes Pakistanais, mais réfugié avec sa famille à Halifax depuis son enfance ; la mère est Française, venue toute jeune bille en tête pour trouver n’importe quel travail à Londres. Un enfant, une banlieue déshéritée, quoi de mieux pour oublier les concours de Normale Sup’ ? Pendant que mes amis commentaient en long, en large et en travers les résultats, je suis moi aussi partie bille en tête à Londres…

Voilà le tableau. Il a certes plu, mais tout m’a plu. L’aventure d’entrer dans une famille étrangère, d’aider, sans rien d’autre à se soucier que de comment apprendre le plus possible sur un pays, une ville, les autres et soi. Et puis… il s’est rapidement avéré que je parlais mieux anglais que la maman (un anglais plus littéraire, en fait), que le père buvait beaucoup trop de bière pour un musulman pratiquant. Et que l’enfant était beaucoup trop dodu pour son âge et pas dégourdi pour un sou. Et j’ai découvert alors la délicate tâche d’être celle-qui-est-extérieure, une tâche qui m’échoirait à nouveau comme professeur, et que tous les oncles, tantes, grands-parents, voisins et amis connaissent. Celle qui voit ce qui se passe, comprend des choses, pas tout bien sûr et se trompe aussi, mais tient en main une partie de l’apprentissage et de l’éducation d’un enfant. Qu’en faire ? Devant les erreurs et les manquements, il est facile de critiquer ; il est beaucoup moins aisé d’essayer d’influencer le cours des choses tout en ayant l’air de rien, sans parler, sans juger. Tout en se demandant à chaque instant s’il est juste d’essayer de changer quoi que ce soit.

Vu le temps (les deux tiers de la journée seulement) dont je disposais avec cet enfant surprotégé et délaissé à la fois, je me suis donnée deux buts seulement : le premier, les bâtonnets de légumes. Ils s’adaptent aussi bien que les nuggets frits de pomme de terre ou de poulet à son petit poing serré quand il regarde la télé (90% du temps quand il est avec parents). Il a alors découvert les légumes, pour de vrai. J’ai aussi ignoré la poussette lors de la promenade quotidienne et l’ai plongé dans l’eau de la piscine. Mais je me suis aussi énervée, jeune que j’étais : non, le lait entier ne contient pas plus de calcium, il contient juste plus de gras. Et vu que le marmot a du mal à bouger, il vaut mieux inclure du lait écrémé dans son régime lait + nuggets frits + toats beurrés à tous les repas ! Voir ce gros petit gamin affalé devant la télé qui braille à tue-tête quand ses parents en ont la charge me mettait hors de moi… Difficile de se contenir, résonances peut-être ?

L’autre chose ? J’ai essayé de lui apprendre à babiller et à fredonner. A faire autre chose que trépigner et chouiner pour obtenir ce qu’il voulait : la maman anticipait chacun de ses désirs, il avait juste à montrer du doigt et à attendre. Comprendre qu’enchaîner une journée de travail et une journée de mère est épuisant, et en même temps se soucier du fait que l’enfant devient jour après jour plus exigeant et capricieux : je voyais son attitude se modifier presque de jour en jour, à mesure que sa mère s’épuisait, en fait. Puis explosion. A un moment, elle n’en peut plus, se confie. Que faire… Chanter pour l’enfant et le faire chanter. C’est ce en quoi j’ai toujours apprécié le chant, une sorte de relâchement de toutes les tensions, et qui se partage si facilement avec un enfant. J’ai donc passé des heures avec lui  à lui faire reconnaître la musique de Oui-Oui (grands-parents français obligent…), mais aussi de Bear in the Big Blue House (ses parents le laissaient vraiment seul devant la télé, sans expliciter quoi que ce soit). Apprendre à babiller dessus, à fredonner. Je l’ai bercé des Misérables pour ses siestes (d’où le fait que j’en connaisse les paroles par coeur). Mais je me suis dit que Cats, ce sera abuser…

Je ne pense pas avoir réussi quoi que ce soit, ou fait mieux que quiconque. Mon quotidien en revanche était nettement plus agréable quand le gamin s’est mis à gambader et à fredonner.

Ce qui a donc accompagné mon séjour ? Ceci :

Ce que j’ai appris ? L’accent pakis des banlieues de Londres ! Mais aussi à quel point il est difficile d’admettre que l’on ne peut rien et ne doit rien faire. J’ai aussi appris ce qu’était d’être déraciné : de devoir fuir son pays car on appartient à la « mauvaise » minorité religieuse et d’arriver dans un univers inconnu pour que la guerre, avec les gangs caribéens cette fois-ci, reprenne : les coups de couteaux, les viols, la haine des Noirs, la haine des Pakis, l’histoire d’une vendetta. J’ai ouï un monde que je n’avais fait qu’entrevoir dans les médias auparavant.
Ce qui m’a marquée ? Le fait de ne pas du tout détonner, jeune fille de vingt ans avec mon marmot à la main, dans les rues de cette banlieue. Le nombre de jeunes filles, plus jeunes que moi, que j’ai cru obèses : certaines l’étaient vraiment, low middle class britannique oblige. Mais j’ai pris conscience au bout de quelques semaines que ces gamines de 14, 15 ou 16 ans avaient surtout un embonpoint lié à… la grossesse. Et là, ça m’a fait bizarre.

Mon plus beau souvenir ? Un truc dingue, qui n’a rien à voir avec l’éducation, les enfants ou quoi que ce soit de maternel. Non. J’avais vécu jusque là dans une petite ville des Alpes puis à Paris, je n’avais donc pas idée de ce qu’était un vrai grand supermarché. Là, dans ma banlieue londonienne, j’ai découvert… Tesco. Mouahahahahahah !

HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)

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