La Récolte des Perles #UneSemaineUneProf

[Après le Monologue du Stylo rouge vient la seconde facette de la correction…]

Copies perle

Avec elle la Moisson des Copies amène la Récolte des Perles.

Parmi les centaines de pages écrites par des élèves se glissent des bons mots involontaires, des confusions saugrenues, des remarques ouvertement humoristiques, des verbes inventés, des raisonnements hermétiques ou des truismes mignonnets : « ils croivent », « le taux de mortalité augmente parce que les gens font moins d’enfants », « la portée de la table claudienne est importante sauf dans un petit village gaulois qui résiste à la romanisation culturelle grâce à une potion magique »…

La Perle, c’est ainsi cette petite occurrence drolatique que l’on repère au milieu d’une copie : poétique, on la cueille et la dépose dans un panier, avec un sourire on l’accroche parfois à un visage. Mais de plus en plus régulièrement je l’ai aperçue montée en chapelet. Exposée. Brandie, avec les mots consacrés qui l’accompagnent : révoltant, affligeant, calamiteux, mieux-vaut-être-aveugle-que-de-lire-ça. J’avoue que cela m’a mise mal à l’aise voire agacée. J’ai eu le sentiment que des fautes, vénielles s’il en est, et qui auraient du être circonscrites à l’intérieur d’une copie, dans un intime de l’élève au professeur, étaient exposées pour des motivations vulgaires et injustifiables. Car la Perle est à peu de frais l’occasion de s’ériger en censeur bouffi de sa valeur devant un public conquis d’avance.

Car cela plaît, la Perle d’élève. Cela parle facilement à tout le monde surtout si l’on s’adonne à sa mise en scène : il faut préparer son petit effet, baisser la voix, soupirer d’un air excédé et avec les yeux qui roulent assener : « tu n’imagines pas ce que j’ai encore trouvé dans une copie… » (on monte en scène) « et pourtant je le leur avais dit !!! » (la théâtralisation bat son plein) « Il a écrit « ***** » pour dire « **** »… … … Non mais tu imagines ??? Mais le niveau ! Nous, à leur âge, on était quand même largement meilleurs ! ». Et l’on se rehausse d’autant que l’on abaisse l’autre. On est le coryphée applaudi qui jette les inepties d’élèves aux lions.

L’arrogance à bon compte.

Il est facile de briller quand on a conçu les consignes et le sujet. Il est facile de savoir quand on accumule les années d’études et la distance adulte  face aux apprentissages, quand on a appris avec force erreurs à distinguer un détail d’un autre dans un texte, une image, une théorie. Il est aisé, auréolé de diplômes, d’écraser du poids de son savoir ceux qui se trompent, qui ont la tête dure, qui s’en fichent, qui malgré tout continueront d’écrire « plébiens » encore et encore. Le professeur est là pour sanctionner un niveau scolaire et une progression avec des critères très clairs, et il dispose d’instruments très variés : annotations, commentaires, notes chiffrées ou non, remarques orales, regards appuyés, sourcils froncés, hochements de tête. S’émouvoir, s’affliger, s’énerver, les professeurs passent par toute une panoplie d’émotions chaque jour et c’est à la fois normal et salvateur, nous ne sommes pas des machines-à-corriger mais des personnes pétries d’émotions face à d’autres personnes. Mais brandir la Perle publiquement me heurte… et cela me semble n’avoir rien de commun avec ce métier : c’est une ovation à notre propre gloire, qu’est-ce-qu’on-est-bon-quand-même, qu’est-ce-qu’on-est-fins, qu’est-ce-qu’ils-sont-nuls-alors. Les Perles d’élèves, ce sont autant de galons dont enorgueillir notre uniforme, les étoiles de notre supériorité.

J’ai souvent envie de le rappeler : face à nous, qu’ils soient jeunes ou non, adultes ou non, les élèves sont en train… d’apprendre. Oui. Cela paraît évident, mais on l’oublie bien vite tant le pouvoir conféré par la fonction est grisant… Ces élèves se mettent volontairement en position d’infériorité, ils reconnaissent une ignorance, un niveau scolaire inférieur dans une discipline donnée et se livrent en confiance pour que nous leur montrions comment s’améliorer. Peut-être sont-ils arrogants, bornés, idiots, peut-être ne nous feront-ils jamais le plaisir d’une copie sans ineptie ? C’est fort possible et on a tout loisir de le sanctionner par un commentaire et une note. Mais le contenu même d’une copie ? En cherchant à mettre un mot dessus, j’en suis arrivée à la conclusion : il en va pour moi d’un secret professionnel.

L’élève qui rédige est en situation de tension : rapidité, efficacité, il doit solliciter sa mémoire, son raisonnement, sa plume. Il tente le tout pour le tout, s’abandonne, il confie une part de ses réflexions parce qu’il suppose que le professeur mettra équité, justesse et mansuétude dans sa correction. Certains n’auront pas appris, d’autres s’en fichent comme de la première tenue d’Elton John. Cette nonchalance ne me confère pour autant pas le droit de me moquer, d’exhiber les incongruités de ceux qui m’ont en toute confiance rendu leur copie. L’éthique de ce métier implique de la rigueur, de l’exigence mais qui ne sont rien sans empathie et humilité. Se faire une joie voire un devoir de parader avec en collier serti des perles médiocres de ses élèves dans la salle des profs ou les dîners mondains dit simplement le besoin effarant de se rengorger. Ou de se venger peut-être. En tout cas, dans la désoccultation d’une copie traînent les guêtres de l’humiliation. Nous sommes des enseignants, notre métier est d’amener d’autres personnes à comprendre et transférer. Oui, ils ne savent pas, oui ils se trompent, oui ils disent des énormités : c’est bien pour ça qu’ils sont devant nous. Même si leur niveau est bien plus bas que nous l’espérions, même si certains nous paraissent irrécupérables.

J’admets qu’il y a de la catharsis dans cette Récolte des Perles. Du pétage de plombs aussi, où le rire permet de souffler ou de lâcher prise. Mais à lire certains pages de mise en commun entre profs, à entendre certaines conversations, elle devient aussi une vengeance facile aux dépens de ceux qui ne peuvent répondre.

Et je repense à Steinbeck.

A trop récolter les perles, à trop les exhiber, on finit par se corrompre soi-même.


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17 commentaires

  1. Point de vue que j'approuve "à + que 100 %", tant il y a du délit d'initié § de la concurrence déloyale dans cette forme d'exhibition complaisante*, + que limite au plan déontologique !
    * à travers laquelle le professeur se mue en tête à claques fielleuse § arrogante

    a presto, Antoine

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    • @Vertiginoso : de la concurrence déloyale, c'est exactement ça qui me déplaît... A armes égales, on peut éventuellement se moquer (et encore) mais quand le rapport est celui d'un professeur à des élèves c'est déplacé je crois...

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  2. Tu as bien raison, je n'avais jamais réfléchi à ça ! On critique toujours les jeunes qui sont nuls en orthographe et grammaire mais nous oublions qu'ils sont en apprentissage.

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    • @Cleophis : absolument, et sans même se dire que nous étions à leur place il n'y a pas si longtemps (mais non, c'était hier ou presque ! 😉 ), il me semble qu'il s'agit d'une forme de respect de bien tenir compte de ce statut...

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    • @Anotherwhisky : oui, je crois, d'une manière ou d'une autre ! Et s'en souvenir c'est aussi conserver une certaine forme d'humilité peut-être à l'égard de ce métier, qui est autant celui d'enseigner que celui d'être en train d'apprendre pour pouvoir enseigner ? Je ne crois pas que les profs (moi la première 😉 ) apprécieraient si leurs formateurs se moquaient de leurs erreurs éventuelles ?

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  3. Rha, moi ça me fait penser à ma prof de 5ème ou 4ème qui lisait devant toute la classe les bêtises que nous pouvions écrire. Je n'en faisais pas beaucoup, mais j'ai toujours très très chaud aux joues en me souvenant qu'elle m'a fait lire devant toute la classe la définition de "satyre" dans le dictionnaire (que j'avais écrit à la place de "satire")... et aussi du fou rire de toute la classe quand elle leur a lu une partie de ma dissert où je parlais d'un prêtre habillé de toile de burne. Elle le répétait , et le répétait, et je ne voyais pas où était l'effet comique jusqu'à ce que quelqu'un hurle "couilles" dans la classe.
    C'teuhhhh honteuuuuh.

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      • @Zaneema : oui, ça c'est Blogi. Mais tu ne sais pas que son chat est encore pire qu'elle... Billi. Ouais. Billi... Rien que le nom tu imagines déjà la bestiole. Il dodeline... oui, oui... 🙂

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    • @Blogi : mouihihihi ! Mais là c'est une situation un peu différente (même si au fond le ressort est toujours la moquerie). Faire ce choix de lire des perles devant les élèves, cela peut être utile (pour ma part, je ne dirai jamais à qui appartient la copie, l'élève aura déjà suffisamment honte en se reconnaissant, je n'en rajouterai pas). En revanche, entre professeurs et entourage, pour se faire mousser là je n'aime pas du tout...

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    • C'est pas très psychologique... Je n'ose pas imaginer les dégâts que cela peut faire sur un gamin un peu sensible, un coup à ne plus jamais ouvrir la bouche de sa vie de peur de se tromper.

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  4. Moi ,fille de...lors de ma pause déj de pionne j'entendais tous-les -jours cela dans la salle des profs.D'ailleurs c'était toujours les memes profs qui finissaient leurs monologues dans le vent tellement personne ne s'y intéressait.Vu de l'extérieur,c'était assez comique de voir les autres profs tourner le dos ,s'éloigner peu à peu!

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    • @Zaneema : mouahahahah ! Ah donc il y avait une lassitude à force que certains passent leur temps à se plaindre des inepties de leurs élèves ? Bien ! 😉

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