« Leviathan », Anish Kapoor : expérience troublante de la féminité

Kapoor Monumenta 2

Il y a deux ans, j’ai pénétré le Grand Palais comme jamais auparavant.

C’était la grande exposition du moment, un des Monumenta qui ont réinvesti le palais, sa verrière, ses dômes, sa structure métallique, faisant de cet espace un lieu d’exposition monumental et d’extériorisation d’une réflexion artistique. Plus qu’avec la matière, c’est avec l’espace que l’artiste joue dans ce lieu et plus qu’avec la matière, c’est avec comme souvent pour lui la cavité, l’intériorité exposée et miroir de soi, qu’Anish Kapoor, plasticien Bombayite et britannique, a empli les voûtes de ce palais.

Son Leviathan fut pour moi l’occasion d’expérimenter une des oeuvres les plus intimes qu’il m’ait été donnée de voir. Une oeuvre dont la puissance m’apparaît double aujourd’hui, duplice presque, provoquant attirance et répulsion, soumission et exaltation, prise de pouvoir et libération. Le Leviathan charnel et politique, dans toute sa splendeur.

Viens, prends ma main, suis-moi…

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A quelques pas du brouhaha des Champs-Elysées, il faut passer les portes coupe-son, coupe-lumière, entrer un par un en poussant le battant sans savoir s’il y aura une sortie…

Kapoor Monumenta 5

Nuit profonde.

Silence ouaté.

Le corps est happé par la touffeur du lieu et l’atmosphère enveloppante. Sensation d’étouffement presque, une claustrophobie naissante tant l’obscurité prend à la gorge et saisit le ventre, tant la pression dans ce milieu plastique est différente de l’extérieur. Un malaise. Puis les yeux s’habituent et quelques silhouettes se détachent dans une lueur rougeoyante. Elle forcit à mesure que l’on avance, on s’enfonce dans le Leviathan, et la ouate auditive laisse percevoir peu à peu des murmures étouffés. Le son, la lumière se déplacent différemment dans cet espace confiné.

Trois sphères gigantesque devant soi. Deux qui partent sur les côtés, une qui s’arrondit en face. L’oeil et le corps sont attirés, et l’envie de se blottir contre les parois rougies par la lumière de l’extérieur saisit… On a pénétré par la seule entrée, et tout le reste est là pour nous protéger du monde.

Tressaillement.

Expérience utérine…

Kapoor Monumenta 3

Kapoor Monumenta 4

Kapoor Monumenta

Il est de ces lieux où l’on pourrait rester des heures.

A ne rien faire que ressentir. A se laisser envahir d’une torpeur douce et anesthésiante. Réminiscences, expériences profondes, prénatales.

Il faudra du temps pour s’extraire du Leviathan, car le monstre primitif avale seulement mais ne recrache qu’à contrecoeur. Fantasme psychanalytique d’engloutissement absolu. On tâtonne, on se secoue, on s’arrache, on se libère, et suivant les silhouettes sombres des autres voyageurs du creux de cette oeuvre, on ressort en s’éveillant à la lumière et à la seconde métaphore…

Kapoor Monumenta 6

La gigantesque structure féminine par ses courbes, ses excroissances mammaires (qui ne sont pas sans rappeler une scène dans un des premiers films de Woody Allen) et son ventre, a envahi l’espace du Grand Palais.

Sans laisser presque le moindre souffle d’air et d’espace libre, la chair épouse chacune des galeries. Luisant sous la verrière, la monstrueuse aubergine se déploie comme en souvenir de la cuisine indienne où elle est omniprésente et qui a marqué la jeunesse de l’artiste : la brinjal se love avec perfection dans sa forme et sa couleur sous les arcades vert réséda du Grand Palais.

On marche, on arpente, on ne peut en détacher son regard et l’on tente de circonscrire l’autre facette de ce Léviathan : après l’avoir pénétrée, on se glisse désormais dessous, on la contourne, on tente de la surplomber, on est fasciné par la peau dure et lisse, striée régulièrement, qui n’est en rien une baudruche que l’on pourrait dégonfler d’un simple coup d’aiguille. On pressent qu’ici le plasticien ne parle pas du monstre envahissant et froid, le Léviathan politique qui a fait sien le monde en s’y répandant, tellement envahissant que l’on pourrait finir par l’oublier…

Pour retrouver son souffle d’abord, il a fallu rompre la ouate. Pour reconquérir son espace maintenant, il faut refuser l’omnipotence.

Et j’ai quitté avec difficulté le Leviathan d’Anish Kapoor. Je m’en suis comme extirpée, et ce jour-là m’a poursuivie longtemps une sensation de manque. Tant la cavité et son envers, ce ventre accueillant ou imposant selon l’espace d’où on le vit et le voit, parviennent à convaincre le visiteur d’une omnipotence troublante.

Kapoor Monumenta 9

Kapoor Monumenta 11

Kapoor Monumenta 10

Kapoor Monumenta 7

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Kapoor Monumenta 14

Kapoor Monumenta 13

Kapoor Monumenta 12

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Note : il est étonnant de voir que cet article me travaille depuis deux ans. J’ai regardé mes photos régulièrement, à chaque fois envahie par la même émotion et le même trouble, sans cesse relu à travers mes propres réflexions. Je publie l’article aujourd’hui, mais sans aucun doute qu’il pourrait évoluer encore…


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2 commentaires

  1. On s'est peut-être croisé à cette expo, cett expérience assez extraordinaire sous la nef du Grand Palais; kiss

    HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)

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