« De vous à moi : nous sommes prêts. Nous sommes prêts. Nous sommes prêts, et tout a été pensé et organisé. »
En effet : tout est prêt pour la campagne de communication du ministre de l’Education nationale sur les Jeux Olympiques de 2024. Avec de belles images et de lénifiants bandeaux, le culte gluant de la compétition sportive des prochaines années se déploie… Les autres urgences ? C’est pour les faibles ! Ce qui compte, ce qui marque, ce qui doit rester dans les mémoires surtout, c’est ce corps adulte vainqueur qui franchit en jubilant la ligne d’arrivée, battant à plate couture des… enfants. Tout un symbole.
La rentrée se rapproche, dans une belle continuité avec début mars : l’information est vague, minimale, à cent mille lieues des mises en œuvre concrètes exigées par l’accueil de groupes d’enfants en nombre. L’anticipation est à son comble : ni achat de tables individuelles, ni recrutement pour dédoubler les classes, ni instructions pour adapter les programmes de début d’année voire anticiper un Brevet spécifique pour des élèves ayant eu une année de 4ème tronquée et sans doute une année de 3ème en pointillés [je n’évoque pas le bac, je laisse des collègues enseignant en lycée s’en charger]. Et ceci, non par prudence mais par absence : ce qui se passe concrètement dans une classe ne préoccupe pas ceux qui écrivent l’Avenir du Monde d’après, que diable !
D’un point de vue individuel, anecdotique, je recours par exemple beaucoup au travail de groupe, qui s’est avéré être un pilier fondamental durant le confinement pour maintenir le lien ENTRE les élèves. Ces derniers travaillent ensemble sur des documents communs, se les échangent, se prêtent des outils, et discutent entre eux de la méthode à adopter et du résultat à proposer ; ce faisant, ils travaillent des compétences fondamentales de l’histoire-géographie. Je n’ai donc à dix jours de la rentrée absolument aucune idée si mes cours pourront se dérouler de cette manière : aurai-je une seule salle ou plusieurs, des groupes de 30 ou moins, du matériel et une disposition identiques dans les salles ou non, le travail collaboratif et l’oral collectif de réflexion, mais aussi l’échange de matériel, le regroupement de tables seront-ils possibles ? Les masques portés, selon quelles conditions ? Mais ce n’est pas qu’une question d’élèves : il semblerait que le certificat d’isolement pour les personnes vulnérables (permettant donc de continuer à travailler à distance) ne reste possible désormais qu’en entreprise mais pas dans la fonction publique, conduisant donc à… la prescription d’un arrêt de travail (et donc à ne pas pouvoir travailler…). On voudrait faire passer les fonctionnaires vulnérables pour des chochottes fainéantes que l’on ne s’y prendrait pas autrement.
Mais trêve de sarcasme : si dans l’Education nationale, on se paye de mots et de passage de soupe chez Léa Salamé, l’évaluation et la prévention des risques est prise très au sérieux. On la met en effet en place… quand c’est possible ! Je ne blague pas : « la distanciation physique n’est plus obligatoire lorsqu’elle n’est pas matériellement possible ou qu’elle ne permet pas d’accueillir la totalité des élèves ». Ce qui importe n’est pas les conditions sanitaires d’accueil et de travail, ce qui compte n’est pas la clarification des responsabilités quant au risque sanitaire. Ce qui compte, c’est que les parents puissent aller travailler. Et au passage, enseigner, ce n’est pas travailler : c’est un peu comme changer des couches, tout le monde peut le faire sans avoir besoin de protocoles. Franchement.
« Les caméras sont prêtes… On met ici les parents mécontents de l’avalanche de travail scolaire, et là ceux qui disent que les profs n’ont rien fichu… et là, tu me mets le lycéen qui dit n’avoir jamais eu une seule nouvelle de ses profs. C’est bon, on est prêts. »
Le mépris du ministère à l’égard des enseignants n’est pas nouveau, mais ne soyons pas non plus dupe de la maladresse de Sibeth Ndiaye pour qui, ceux qui ne font rien comme les enseignants pourraient aller aider à la cueillette des fraises, ne croyons pas au hasard d’une fuite donnant un chiffre affabulé quant à l’assiduité des enseignants durant le confinement. Ne lisons pas Laurent Joffrin, non. Et ne croyons pas aux coïncidences quand, hier 18 août, ce que l’on appelle le prof bashing reprenait de plus belle à l’approche de la rentrée : une secrétaire d’Etat, quelque peu concernée par la Jeunesse et l’Engagement, évoquait « les mois sans école » [je cite, tellement c’est magnifique ; elle a rétropédalé quelques heures plus tard : c’est fou, toutes ces personnes publiques qui, dans des situations où leur parole est justement publique, sont ***maladroits*** avec les mots…] d’élèves rencontrés ce jour-là avec force photographes et caméras.
C’est patiemment orchestré. Volontaire. Une campagne continue menée depuis des années qui met en scène « la vocation » [méfiance] du « plus beau métier du monde » [méfiance apocalyptique] « indispensable à l’avenir de notre beau pays » [niveau 14 000 sur l’échelle du bullshiting] tourne le dos avec force ricanements et condescendance dès qu’il s’agit de parler des salaires et des carrières bloqués, et d’un engagement voulu toujours au-delà. Cette campagne, qui s’est renforcée au milieu du confinement avec une violence étonnante, se ravive sans surprise à l’approche de la rentrée : enseigner serait apparemment un vrai métier ! Et il y a un risque que l’on se souvienne de la question de la revalorisation des salaires, ou que l’on « découvre » que les enseignants réclament depuis le mois de mai de pouvoir organiser cette année qui sera, n’ayons aucun doute là-dessus, complexe dans la forme et dans la durée. Ou encore que l’on constate une impréparation de l’Education nationale toujours plus étonnante depuis mars.
La rétention d’informations et de directives tout au long de l’été est intentionnelle : c’est un excellent moyen pour que les enseignants commencent à se plaindre et passent pour des réfractaires incapables, voire des « ventilateurs à angoisse » (dixit notre ministre actuel). Que ce soit clair : le gouvernement et notre ministère ne seront pas prêts. Et ils n’ont jamais compté l’être. Les enseignants seront les parfaits dindons de la farce quand ils rueront dans les brancards pour prévenir parents, élèves et directions que certaines choses ne sont pas faisables, soit en matière de prévention des risques, soit pour le bon déroulement des cours. Ils se plaindront, le ministre passera à France Inter, sur RTL, puis sur BFM, peut-être sur JV.com qui sait ?, pour affirmer avec sérénité que « cette question a évidemment prise en compte », avant de pondre en catastrophe un protocole incohérent le vendredi soir pour le lundi matin. Les enseignants se plaindront à nouveau, et bis repetita.
« Le premier décès de la Covid19 en France était un enseignant. Je crois qu’une photo sans cravate sur un mur d’escalade est opportun. Le confinement scolaire a eu lieu trop tardivement. Les informations sur la rentrée oui, mais d’abord félicitations au PSG ! Le Sport, messieurs dames, le Sport ! Et les vâleurs de la République. »
Alors que faire ? Et bien, rien. Surtout rien : ne rien modifier, ne rien anticiper, et attendre que les responsables prennent justement la responsabilité de leur silence. Il est urgent de ne pas faire à la place de, même si nous savons pertinemment que le prochain protocole sera écrit sur le bord d’un bureau d’un chargé de comm’ du cabinet en liaison permanente avec le Figaro, Paris Match et RTL… Comme l’a presque dit le grand commissaire Bialès : « Laissez faire le Grand Ministre de l’Education nationale, et si la situation évolue soyez sûrs que Konbini sera le premier informé ».
Quand le temps sera venu, nous saurons faire : déterminer l’essentiel et la meilleure manière d’y parvenir, avec une forme qui soit suffisamment efficace sans être trop coûteuse, en respectant le rythme des élèves et le nôtre. Et prenons le temps nécessaire pour transmettre au mieux, nourrir le lien et sécuriser nos élèves. C’est exactement notre force et ce qui fait peur : nous fonctionnons parfaitement sans ministère (et quelques autres rouages qui ont pointé aux abonnés absents depuis mars), nous nous organisons, nous échangeons, nous nous autogérons, et nous parvenons à mener la barque à bon port coûte que coûte dans la panique générale.
Parce que le secret qu’une institution craint le plus de voir éventé, c’est son inutilité et la vacuité de sa parole. Et le confinement de mars à mai en a été une démonstration magistrale pour l’Education nationale. Aujourd’hui, le nom du ministre est sur toutes les lèvres car il sait maîtriser ses effets : se faire désirer, au risque de se discréditer. Mais la Parole transcendante ne viendra que trop tard et, de surcroît, ne sera pas transcendante. Je cite souvent les vers d’Alfred de Vigny dans Le Mont des Oliviers dans de telles circonstances : répondre par un froid silence au silence éternel de la divinité.
Je travaille pour mes élèves et, parce que la loyauté se doit d’être réciproque, je suis par conséquent déliée de toute loyauté autre. Et j’ai la chance d’être totalement prête sans avoir besoin de l’être : j’ai toujours été douée en gestion de crise et suis très efficace dans l’urgence. Les contraintes décuplent ma créativité et mon énergie, que je sois face aux élèves ou de l’autre côté d’un écran. Je me sais totalement autonome, et donc sereine parce que rien de ce qui adviendra et sera décidé ne dépend en réalité de moi. Mon seul enjeu ? Avoir le temps de rencontrer et connaître un peu mes élèves et leur fonctionnement, avant le prochain confinement.
Alors n’attendez pas, ignorez, ne désirez pas des instructions bien pensées qui seront sans aucun doute publiées le 35 août sur Konbini. Et commencez plutôt à acheter de la farine et de la levure, des livres et de quoi vous occuper de vous. Le reste… vous adapter ? anticiper ? organiser ? C’est le coeur de votre métier : vous savez faire.
Merci.
Merci.
Merci.
Tout cela était d'un prévisible.
Mais écrit comme toujours aussi bien cela a beaucoup de force
Bon courage
Terrible texte chargé d'une volonté féroce d'avancer envers et contre tout! je ne suis pas enseignante dans les institutions mais dans la vie de tous les jours avec mes 2 enfants que seront en CM1 et 5è à partir de septembre. Représentante des parents d'élèves et présidente du sou des écoles, je suis avec attention les directives du ministère de l'éducation et le manque d'information me sidère. Merci pour ce texte !
Je ne suis ni prof ni soignante, mais totalement solidaire de ces professions depuis toujours... Je suis effarée depuis le début par la "gestion" de cette crise... Merci à vous pour ce texte: il éclaire la rentrée de mes ados d'une lumière différente, crue mais salvatrice: le gouvernement s'en fout mais les profs veillent ! Merci et bravo.
En dehors de la stupeur qui ne me lâche pas, je n'ai qu'un mot : bravo pour tout ce que tu écris et je m'empresse de partager ton billet.
Bonjour madame Van Rechem je suis une de vos anciennes élève ! Je ne sait pas si vous vous souvenez de moi ou même si vous lisez vos commentaire mais je cherche partout un moyen de vous joindre mais je ne trouve aucun de vos réseaux .
Merci de me faire signe !!
A très vite ☺️