Une des poétiques étranges de l’Inde, ce sont ses dormeurs de jour.
Avachis, écroulés, et les positions des plus extravagantes semblent devenir confortables. Le bruit ambiant et l’odeur pestilentielle parfois disparaissent et seul le corps abandonné reste, étonnamment magnifié par sa sérénité.
En Inde, il est difficile d’être sûr d’une situation, car elle génère toujours deux hypothèses contradictoires. Et l’on peut se tromper comme tomber juste, sans jamais vraiment savoir pourquoi. Les dormeurs de rue sont l’image même de l’incapacité qu’a la ville de Bombay à loger sa population sans cesse croissante : mais ceux-là, fraîchement arrivés de leur campagne, c’est la nuit qu’ils s’étendent à même le sol, recouverts précautionneusement le long de chaque membre, des pieds à la tête, d’un linceul crasseux pour se protéger de la lumière, des regards. Et peut-être aussi des rats gros comme des chats.
Mais le dormeur de jour ? Un drogué, un alcoolique, un qui-travaille-trop, un fainéant ? Peut-être en fait a-t-il une natte qui l’attend quelque part. Dans un immeuble, un chawl, un bidonville, il rejoindra à la nuit tombée une pièce minuscule avec deux ou trois autres. Il paye à la demi-journée, et quitte les lieux chaque matin pour être remplacé par d’autres qui viennent s’y reposer. Pendant ce temps, il part travailler peut-être, arpenter au hasard Bombay, faire une sieste à un moment donné… il n’a pas de chez-lui, il n’a qu’un demi-chez-lui… et il grappille un demi-sommeil là où il peut, trottoir, escalier. Parfois le dormeur de jour a trop bu aussi…
C’est la quête des expédients allongés, qui font que cette ville tient debout.
* Slumbay est le nom parfois donné à Bombay dont 60% de la population vit dans des bidonvilles, les « slums » : mot-valise poétique que j’utilise ici pour sa proximité sonore avec « slumber » (le sommeil) mais qui revêt une réalité bien plus prosaïque.
Même si je ne laisse pas de commentaires je lis régulièrement tes articles et j'adore!
@ Quenotte : et moi je réponds enfin aux commentaires ! Merci de me lire en tout cas, sincèrement !
Quelle misère.
@ Des pas perdus : et même si on s'extasie devant l'inventivité des Indiens à trouver des ressources, des solutions, il ne faut pas oublier le système qui les pousse à cette inventivité...
J'ai voté mais avec beaucoup de tristesse.