Fou rire : quand l’Inde rattrape l’Arménie

En Inde, j’avais un chauffeur.

Oui ça sonne immédiatement « la vie d’expat’ sous les tropiques » mais quand tu auras vu la manière dont conduisent les Indiens notamment à Bombay, on en reparlera. Toujours est-il qu’un chauffeur travaillait pour nous et que nous tâchions autant que faire se pouvait de ne pas le faire attendre toute une journée dans la voiture si nous n’avions pas besoin de lui. Ne pas le faire tourner inutilement des heures autour de l’endroit où j’allais en journée, café réunion vadrouille : je lui disais de rentrer à l’appartement et lui donnais une heure de rendez-vous. Le soir, quand nous sortions tard, nous le renvoyions chez lui et prenions un taxi. Oui : nous étions vraiment trop respectueux du chauffeur pour être de bons expats, je sais bien…

J’ai en tout cas pris une habitude à Bombay, en Inde et plus généralement en Asie, où l’on utilise très couramment les taxis pour des trajets courts ou des journées entières, l’habitude de dire quand je m’assieds à l’arrière d’une voiture où attend déjà le conducteur : « OOOOOK let’s goooo ! ».

En dodelinant follement et avec l’accent bien sûr.

*****

Un jour, plus tard, en Arménie…

On parcourt le Caucase comme on parcourt l’Amérique latine et l’Asie : à dos de minibus ou de bus.  Les marchroutki cahotent et tanguent, ils mettent des heures pour traverser des pays minuscules en s’arrêtant dans tous les villages, et le ticket est à un prix dérisoire. Notons bien qu’il y manque les petits vendeurs d’agua fria et d’empanadas, les réservoirs d’eau bouillante chinois ou les regards fixés sur toi de l’Inde. Mais c’est l’occasion de découvrir des gares routières improbables à des moments incongrus, Pittsanulok à 3h33 du matin et Belo Horizonte à 18h30, tout en ralliant des lieux fort distants. Et même parfois sur des autoroutes à toute berzingue. Genre 60km/h.

De ce fait, quand le temps vient à manquer ou l’argent à couler à flots, tu te rabats parfois sur un taxi : taxi collectif que tu loues à la journée avec d’autres voyageurs, locaux ou étrangers, ou bien taxi privé que tu mandates pour un tour de la ville, de la région ou du pays (selon les distances, les habitudes de conduite et les possibilités laissées par le véhicule…). Ce que je fis avec une amie à la fin de notre séjour dans le Caucase :  je décidais que nous allions rallier quelques monastères du sud du pays en taxi privé sur une journée.

La chose est entendue, le sacàmiam empli de denrées à boire et grignoter, les sandales poussérieuses aux pieds, le T-shirt tout aussi poussiéreux, et me voilà partie toutes bouclettes au vent pour le sublimissime monastère de Noravank qui, au fond de son canyon devait constituer l’apogée de la journée :

Arménie Noravank

Ah ben ouais, forcément…

MAIS c’était sans compter que depuis dix jours en Arménie j’avais été soumise au feu incessant d’un rappel à l’Inde.

L’Arménie est de ces pays qui fascinent sur le papier, mais qui dans la réalité laissent sur sa faim. Histoire exceptionnelle, terre de sublime, mais concrètement des sites et une gastronomie d’une réelle monotonie (la gastronomie arménienne est sans aucun doute sur les tables de sa diaspora plus que sur celles du pays), de beaux paysages mais pas extraordinaires non plus, l’hébergement est très onéreux pour une qualité très médiocre, et la campagne touristique orchestrée par le gouvernement gâche très clairement le rapport avec les habitants (manuel du parfait hôte arménien et formations pour le devenir). Un peu comme lors de mon voyage en Malaisie (après la campagne menée tambour battant en 2006-2007), il y a un peu de déception à l’arrivée.

Et j’ai commencé de retrouver des réflexes acquis en Inde… même sentiment de prudence quand on m’assenait « India is soooooo old so it’s sooooo great »… même crispation à l’égard des comportements paternalistes dont j’y étais l’objet, le chauffeur de taxi qui ne sait pas lire une carte mais refuse d’écouter mes indications (oui je sais lire une carte même si je ne connais pas le pays et ma boussole est très pratique), des hôtes de guesthouse invasifs… mais aussi enthousiasme délirant à entendre soudain tout un vocabulaire persan passé en ourdou/hindi et en arménien (l’Inde n’est pas loin en réalité) et qui sonnait doux à mes oreilles : kesar, lavash, chors

Et ces gens qui dodelinaient. Oui. En Arménie, on secoue doucement la tête, lentement, de gauche et de droite pour indiquer son accord ou son désaccord.

D’OU CE QUI S’ENSUIVIT !!!

[Lire : « ce n’est vraiment pas de ma faute ! »]

Arménie Khor Virap

Le clou de la journée : ce parking (note la crête avec un pendage magnifique tout au fond…).

Sur la route de Noravank, nous faisons un arrêt à Khor Virap.

Là ça ne rigole pas : déjà tu es face au mont Ararat et en plus tu es dans le sanctuaire le plus important pour les Arméniens puisque c’est LE lieu de la conversion du roi Tiridate IV. En gros, si tu es arménien catholique, il faut que tu sois venu à Khor Virap voir de tes propres yeux le puits où a été jeté saint Grégoire et dont se sont ensuivis nombre de miracles.

Il y a donc du monde, des bus d’écoliers, des voitures de Yerevanites venus là pour une journée de week-end, il fait chaud, le soleil tape grandement, la neige du Kilimandjaro ou du mont Ararat je ne sais plus scintille, et je virevolte entre khatchkars, paysages et bouteilles d’eau. Nous redescendons vers le parking. Je jette un coup d’oeil aux écoliers qui piaillent, je réfléchis à la suite de la journée, je laisse le soleil jouer sur ma peau, nous arrivons à la voiture, j’ouvre la portière et…

… avec grâce et distinction, mais surtout la fatigue et la mollesse d’une fin de voyage, je jette mon sac sur la banquette arrière et je m’affale en gratifiant le chauffeur d’un superbe dodelinement de tête et d’un enthousiaste « OOOOOK let’s gooooo ! ». Avec mon meilleur accent indien évidemment.

Et me retrouve face à deux visages ahuris, un jeune homme et une jeune femme, qui se retournent vers nous (car mon amie, en tout confiance, a emboîté mon pas), totalement interloqués voire choqués. Je me souviens avoir repéré une bouteille de Fanta sur la banquette. Nous ne buvons pas de Fanta. Mon cerveau émet une alerte aussi, les sièges de notre taxi étaient tout de même en moins bon état. L’interloquerie se propage en moi : que font-ils dans MON taxi. Le cerveau tourne à plein régime… la voiture était de la bonne couleur, ai-je fait attention à la marque ? Que nenni, une voiture noire en Arménie EST une voiture noire, point barre. Et il n’y en avait que deux sur le parking. Juste deux.

Le fou rire commence à me gagner. A nous gagner toutes deux. Eux commencent à rire aussi. Et en même je me décompose de honte, mais le rire repart de plus belle quand je revois notre mutuel ahurissement.

Cela aurait pu s’arrêter là, nous nous excusons platement et sortons précipitamment de la voiture de ce jeune couple.

Mais va t’extraire promptement et élégamment de la banquette arrière d’une voiture qui n’est pas la tienne quand tu es en train de rire à en pleurer !!!

Arménie Khor Virap 2

L’église de Khor Virap : arménienne, on peut le dire. Et le mont Ararat, tellement arménien mais tellement turc aussi.

Arménie Mont Ararat

HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)

4 commentaires

  1. Ne pas laisser poiroter un chauffeur toute une soirée parce qu'on va sortir très tard du boulot ... un collègue m'a regardé de haut quand je lui ai dit que j'avais dit au chauffeur de rentrer chez lui, qu'on se débrouillerait très bien seul. Un très bon exemple de comportement qui a tendance à me faire fuir à la vue des expats quand je voyage.
    Je ne suis pas le dernier pour les boulettes, mais là, c'est en effet à mourir de rire et ça tombe bien, je n'étais pas d'humeur très joyeuse en ce début d'après-midi 🙂

    HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)
    • @ Laurent : tu résumes très bien ces scènes qui me faisaient grincer des dents avec les expatriés ! Il y a vraiment une idée de "ces gens sont mes employés, dix mille personnes font la queue pour avoir ce boulot et avoir la chance de bosser pour un expat' donc qu'ils s'estiment heureux et je n'ai pas à être prévenant". Et comme je te l'ai dit sur Twitter, ravie de t'avoir fait rire ce jour-là ! 🙂

      HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)
  2. J'en connais à qui on a décerné un Barbara Gourde Award pour moins que ça 😀 (en tout cas, ça aurait été moi avec toi dans le taxi, tu aurais au moins gagné une vache sacrée en peluche !)

    HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)
    • @ Nekkonezmi : haaaan !!! J'ai pourtant tenté de faire ça avec un sens certain de la grâce et de la décontraction mais ça n'a pas fonctionné #SchbangLesPiedsDansLePlatEtLesFessesSurLaBanquette 😉

      HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)

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