Fragments d’enfance

Trèfle blog

Peut-être cela te fait-il le même effet ?

Tu revois tes baskets de toile trempées par la rosée, un jogging de couleur vive aux genoux usés, et les prairies alpines recouvertes de fleurs de trèfle blanches ou délicatement violacées. Nous étions deux ou trois. Nous nous allongions dans l’herbe pour compter les feuilles, trois, quatre peut-être et nous misions sur notre chance future.

Puis, le regard gourmand, nous devenions les abeilles de ces prairies, goûtant à la pointe de ces minuscules pétales un nectar sucré.

Un à un, il fallait suçoter les pétales des fleurs de trèfle, les violets plutôt que les blancs, y trouver le sucre qui s’y écoulait, là, au milieu des prés. Puis, notre butin ravi aux insectes, nous repartions frôler les sapins, dénuder les mélèzes ou regarder les sommets, à la recherche d’autres secrets.

La nostalgie ne m’est pas un sentiment familier, le ressassement non plus quand l’émotion est passée. En partant d’Inde, j’écrivais « quand une chose que j’ai savourée autant que possible se finit, et qu’il n’est d’autre choix que cette fin, je passe à autre chose » . Les madeleines qui apparaissent ensuite sont plutôt l’occasion d’une réjouissance chargée d’une excitation nouvelle car je sais que, malgré le titre du dernier volume de la Recherche, le temps ne sera jamais vraiment retrouvé. Et ne doit surtout pas l’être.

Alors, comme je ne cherche pas le passé, c’est lui qui me rattrape parfois au détour du chemin. Et tout se déploie soudainement dans ma mémoire : cette fleur de trèfle ? J’étais tranquillement à gambader entre deux sommets de la Suisse arménienne à chercher une chapelle du XIIIè siècle mangée de mousses et dont les pierres menaçaient de dégringoler à chaque instant, à enjamber un torrent, à grimper la prairie en surveillant du coin de l’oeil les ours ou tout au moins les oiseaux qui pépiaient, à planter solidement mes pieds sur le sentier fait d’herbes tassées, quand mon regard a vu cette fleur toute simple et l’a reliée, en quelques images, à nombre de souvenirs empoussiérés.

Grignoter les fleurs de trèfles oui, mais dédaigner surtout l’eau du torrent et les fraises des bois. S’asseoir à flanc de montagne parmi les buissons bas et les peigner avec un bout de bois aux dents métallique pour remplir des seaux de myrtilles des bois, petites boules noires tirant sur le violet foncé, acides et sucrées tout à la fois. Puis repartir les doigts rougis de leur suc, la bouche un peu aussi… Les vallées décorées de jonquilles et de boutons d’or, les champs mangés de crocus, les myosotis que l’on rassemblait en bouquets bleus, roses, blancs, et qu’un simple bol retourné faisait s’élever vers le ciel.

Tout cela parce qu’entre mes pieds était venue se loger cette fleur de trèfle.

Souvenirs

C’est parfois le toucher plutôt qui se réveille.

Des kilomètres plus loin, un autre souvenir me saute aux yeux et aux doigts dans un café italien des rues de Dublin. Au milieu de diverses spécialités, pastilles Leone et biscotti, se blottissait ce présentoir. Boules ovoïdes, fin papier aluminium et petites pattes de carton.

Flash soudain et le souvenir gravit pas à pas ma mémoire : les chocolats Caffarel. Ce n’est pas le goût cette fois qui a joué, je ne saurais même te dire quel il est. Mais le papier aluminium qui entoure l’oeuf… je sais qu’il est extrêmement fin, fragile, qu’il se déchire comme un rien et que je n’aime pas ça. Car décoré de points et de rais, avec les bouts de cartons collés dessous en guise de pattes ou d’ailes, cet oeuf est moins une gourmandise qu’une grenouille, une abeille ou une coccinelle.

Je n’ai absolument aucune idée d’où et quand je jouais avec ces oeufs. Marque piémontaise, peut-être quand nous passions de temps à autre la frontière ? ou bien un buraliste qui se fournissait là-bas ? Je n’en avais plus vu depuis mes dix ans sans aucun doute et il fallait que ce soit à l’autre bout de l’Europe, stricto sensu, que j’en retrouve.

Mon premier réflexe a été, comme si j’en avais tenu un la veille dans ma main, de déplier les pattes. De caresser le papier. Et j’ai du résister à l’envie de faire sautiller la grenouille de chocolat : les Irlandais sont affables, mais quand même. Souvenir beaucoup plus prégnant et vivace que celui des oeufs Kinder, car le chocolat ici ne cache pas un jouet mais EST le jouet : sans lui, la coccinelle n’existe plus… 

C’est étonnamment l’éphémère qui constitue ici le coeur de mon souvenir.

Souvenirs 2

Et parfois c’est le goût avec la forme, le goût dans la forme, la forme avec le goût, qui surgit du passé.

Celui de la réglisse, mais pas n’importe laquelle. Ni celle des bâtons que j’achetais gamine et que je mâchais longuement pour en extraire le jus délicieux mais aussi des filaments jaunes qui se coinçaient entre les dents, qui râpaient la langue, ce bout de bois tendre qui finissait par tâcher le fond des poches. Ni celle des Cachous ou du zan, d’un noir d’encre et bien plus forte, ça c’était môman qui les prenait dans son sac ou dans le vide-poche, pour les suçoter.

La réglisse des minuscules bonbons Golia. Je n’ai non plus aucune idée d’où nous en trouvions. Sans doute en avions-nous acheté quelques fois en passant un samedi après-midi en Italie toute proche, au comptoir d’un café ou dans un bureau de tabac. Une réglisse forte, peu sucrée mais pas salée non plus*, destinée à te rafraichir la bouche après le repas comme une gorgée de ristretto. Tout aussi noire et amère, tout aussi moelleuse et nécessaire.

J’en ai retrouvé récemment, acheté par paquets de 12 000. Sans même me jeter dessus, je savais déjà le petit papier vert et blanc qui se froisse, la gomme minuscule un peu creusée sur le dessus, la fraîcheur qui envahit soudain la bouche et le parfum de la réglisse.

Rapidement, intensément, chaque sensation de forme, de texture, de goût, d’odeur, reprend une place qu’elle n’avait en fait jamais quittée. Et je me lance auprès de ceux qui m’entourent à ce moment-là dans moult explications, souvenirs détaillés, histoires et anecdotes.

Réjouie comme une enfant à Noël par ce que ma mémoire me révèle soudain de tout ce qu’elle a gardé.

* A ce propos, si tu as l’occasion, goûte la réglisse et les drops du nord de l’Europe qui, là-bas, se mange salée voire très salée et c’est tout aussi délicieux que notre réglisse exclusivement sucrée.

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7 commentaires

  1. La mémoire des sens est une chose fascinante... en tout cas c'est marrant, j'entendais justement il y a quelques jours dans le bus revenant du Tarbes maudit des collègues parler de la réglisse salée !

    HIIIIIIIIIIIII !!!(1)Boah...(0)
    • @ Des pas perdus : mouahahahah ! Oui, c'est exactement ça : la plongée dans les souvenirs comme prétexte pour ne pas penser aux rides et au dos qui se courbe 😉

      HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)

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