Le dogpopowalla, dog-sitter à Bombay

Mumbai Dogsitter

Une image rare : le chien est minuscule.

Parmi des dizaines de labradors, saint-bernards…

J’ai été élevée avec une certaine éthique concernant les animaux domestiques.

Tu veux un chien, un chat, une tortue, un poisson rouge ? D’accord. Mais tu devras t’en occuper. Tu devras le sortir et le soigner, changer l’eau de son bocal régulièrement, vérifier ceci ou cela, tu devras le faire dresser, lui apprendre à ne pas quémander et à manger ce que tu lui donnes quand tu le lui donnes, qu’il ne dorme pas dans ta chambre, qu’il obéisse à tes ordres. Tu devras prendre soin de lui, le laver, le brosser, jouer avec lui et le promener chaque jour, tu devras lui donner de l’amour et même lui brosser de temps à autre les dents. Voire lui couper les ongles.

On m’a appris qu’avoir un animal domestique, un chien en particulier, est une histoire de responsabilité personnelle. Ce n’est pas avoir une peluche pleine de poils tellement mignonne et tellement adorable quand il s’agit de la prendre en photo pour ses amis FB, mais que l’on oubliera immédiatement dès qu’il n’y a plus personne auprès de qui afficher son amour démesuré. Ce n’est pas une lubie passagère qui finit six mois plus tard ou un jouet pour se faire valoir, repoussé quand il y a des contraintes parfois peu ragoûtantes.

Avoir un chien ou un chat implique dès la première minute de se porter garant de lui, et auprès de lui. De l’emmener avec soi où que l’on aille, départ ou déménagement. Il faudra peut-être même choisir ton appartement en fonction de lui. Il faudra le soigner quelle que soit sa maladie, s’occuper de lui la nuit et le jour quelle que soient tes propres contraintes, travail ou vie personnelle. Réorganiser ta vie parce que tu as pris cette responsabilité, même si cela implique de te lever à 5h du matin ou de ressortir à minuit, parce que c’est le seul moment où il fait un peu plus frais dans la ville…

Mais à Bombay, on raisonne différemment. Il semble même que ce soit le contraire tant l’Inde est un pays de déresponsabilisation à mesure que tu t’élèves dans l’échelle sociale. Parce qu’en Inde, il y aura toujours dix, vingt, mille personnes prêtes pour quelques dizaines d’euros par mois à te soulager des contraintes que tu voudrais écarter de ta vie dorée.

Alors un animal domestique devient véritablement une peluche. On le prend pour sa nature infantilisante et son pouvoir de faire-valoir, et on en confie la responsabilité et les contraintes à quelqu’un d’autre. Le caprice puéril par excellence.

Et c’est le chien qui remporte haut la main le concours de la peluche à Bombay*. Pas n’importe quelle race, plutôt gros et poilu, le labrador étant la star incontestée (mais dans ma rue il y a aussi des saint-bernards, un malamute, un chow-chow…). La température oscillant toute l’année entre 25° et 38°, l’humidité entre 50% et 100% mais avoisinant toujours plus les 75%, tu imagines bien que le chien vit en permanence dans la climatisation d’un appartement calfeutré. Parce qu’il n’y a pas de place à Bombay, pas de jardin autour des maisons, aucun espace vert, pas de grandes étendues. Le chien fera sa promenade le long d’avenues embouteillées, dans le bruit des klaxons et les gaz d’échappement, dans la continuité urbaine totalitaire qu’est Bombay.

Mumbai Esplanade House Dog grave

Un monument funéraire au chien de la famille Tata, Esplanade House à Bombay.

Alors c’est vrai, avoir un chien est une tradition ancrée dans la haute société parsie, parce qu’il revêt un rôle essentiel dans la cosmogonie zoroastrienne. Et l’exemple est passé aux classes aisées de la ville, chaque épouse qui s’ennuie, chaque ado un peu capricieux réclamant sa peluche. Et les expats de reproduire pour leur part un univers dans lequel ils ne vivent pourtant plus. Avoir un chien permet à ces gens de montrer leur argent (se payer un chien, la puce électronique obligatoire, les vaccins et contrôles et autorisations, la clim’ toute la journée et les bons soins d’un voire deux dog-sitters). Mais aussi de clamer à la face de leurs amis et de leurs invités à quel point leur potentiel d’amour est énorme.

Jusqu’à ce que… « Iiiiirk ! Vijay ! The dog needs to go out !!! »

Parce que faire des gouzigouzi avec sa peluche, on adore, mais sortir le chien devant tout le monde et lui faire faire son popo ??? Mais quelle horreur !!! Il fait chaud dehors, et humide, et c’est telllllllement bruyant ! Et j’ai tellllement de choses à faire tu sais !!! Et puis on pourrait me voir ! Et le popo, enfin, c’est dégoûtant ! Et comme il y a des dizaines de dog-sitters qui n’attendent que ça, sortir le chien quand je claque des doigts pour quelques dizaines d’euros par mois… Parce qu’en Inde, dès que l’on peut se le permettre (et vu le prix de la main-d’oeuvre ici, c’est assez rapide), on délègue les contraintes. La maid fera laver le sol au sweeper et nettoyer les toilettes par une autre personne. L’électricien viendra changer l’ampoule. Et le chauffeur fera laver la voiture par un gamin du coin de la rue…

Alors il y a un dogpopowalla.

Le dog-sitter. Parce que l’amour pour la peluche s’arrête là où commencent ses déjections. Et ceux qui déclament leur amour pour Doggy ou Cuttycutty ne s’embarrassent tout de même pas de l’animal jusqu’à aller le promener.

J’avoue être effarée. Que les Indiens comme les expats choisissent de prendre un chien à Bombay. Un gros chien en plus. Le boxer de la photo est très rare, tout comme les caniches ou chihuahuas qui eux survivraient mieux dans l’enfer moite et pollué de Bombay. Mais non, la peluche se doit d’être grosse, grasse et poilue, labrador ou saint-bernard, et on les gave autant que les enfants le sont. Parce que la peluche sert à manifester sa capacité d’amour et ensuite à gâgâter devant les amis et les invités.

Heureusement, en Inde, la misère et la structure sociale sont telles qu’elles te permettront toujours de te soulager du poids de l’immense responsabilité que tu as prise d’avoir à ta charge un être vivant. Chien ou enfant. Que rien ne soit jamais contrainte et que, toujours, il y ait quelqu’un pour se charger de, s’occuper de, à ta place. La déresponsabilisation maximale.

Je me dis qu’en fait, c’est un bon calcul. Ces gens pourront rapidement changer de peluche et rester à la mode… oui, j’aimerais bien connaître l’espérance de vie de ces chiens sans espace et sans air frais…

Mumbai Dogsitter 2

* Les Indiens détestent les chats, et quand on en voit un ici, on se dit que c’est un miracle qu’il ait pu survivre… Un peu comme les gens qui vivent dans les rues en fait. Pour faire vite ? Gros gras repus et manucurés d’un côté, faméliques maladifs soumis et apeurés de l’autre…

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18 commentaires

  1. Oh mon Dieu!
    Je t'écris les yeux encore grands comme des soucoupes (je les ai souvent comme ça depuis que je connais ton blog, le voyage dans tes pages est génial!), mais, mais, mais c'est n'importe quoi! Ils sont fous ces gens, pauvres bêtes! Non un animal domestique n'est pas un jouet, c'est un être vivant que l'on doit respecter.

    Et ils n'aiment pas les chats, nous voilà bien! Mon petit coeur de propriétaire gaga de chat se brise 🙂

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    • Oh je pense que dans l'histoire, ce ne sont pas les animaux qui sont les plus à plaindre ! Comme leurs maîtres, ils ont la vie de pacha.
      Autant je dis tant mieux pour l'animal, autant je trouve ridicules les maîtres...

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      • @ Djoh : oui, effectivement !
        Ridicules et peu responsables. Mais ils te répondront qu'au moins ils font manger toute une famille en employant ce ou ces dogsitters. Qu'ils paient grassement de, quoi, 50€ par mois ? Maximum ?

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    • @ Miss Nahn : merci tout d'abord de me lire, hihihi ! 🙂
      Et puis au final, les chiens sont très bien traités, on leur des gouzigouzis et quelqu'un les promène de l'autre. Il y aura donc toujours quelqu'un pour prendre soin d'eux. En revanche, peu s'interrogent sur le fait qu'il soit adéquat d'avoir un chien à Bombay...
      Non, les chats en Inde ne sont pas bien vus du tout (et je ne sais pas pourquoi, il faut que je me renseigne là-dessus).

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    • Non ils ne sont pas fans des chats et être traité de "kali billi" ( littéralement "chat noir" ) est peu flatteur : c'est être noir de peau, peu raffiné, sauvage.

      Une rumeur persistante dit d'ailleurs que c'est comme ça que Kareena Kapoor appelait Bipasha Basu sur le tournage d'Ek Ajnabee. Mais bon, le sérieux de la presse people indienne...

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      • @ Candy : absolument ! Mais je ne sais pas de quoi cela vient ce mépris pour le chat ("noir", effectivement, c'est une question de couleur de peau et donc d'origine géographique, sociale, castéique, mais la méfiance envers l'animal, je ne sais pas...) !

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  2. Ha bah j'ai encore rien compris moi... Alors non seulement j'ai un chat, mais en plus j'ai dit à ma femme de ménage de ne pas s'occuper de sa litière, que c'étais moi qui m'en chargeait. Jte jure... J'ai encore un tas de choses à apprendre!

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    • @ Blogi : tu n'as rien compris à l'Inde, vraiment ! Tu devrais avoir un chien et surtout ne même pas imaginer qu'il puisse avoir besoin d'autre chose que de mamours ! Et la femme de ménage se chargerait du reste ! Encore quelques années en Inde et tu finiras peut-être par intégrer tout ça ? Hihihi... 😉

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  3. Plus on s'élève socialement plus ça déresponsabilise n'est pas propre à l'Inde. Le style de vie des plus riches est écologiquement irresponsable (transports, habitations, clims, nourriture...);

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    • @ Des pas perdus : tu as absolument raison, mais il y a tout de même une spécificité indienne je crois. C'est que la structure sociale et la soumission des plus basses castes et couches sociales est telle qu'elle permet toutes les excentricités, à un coût bien moindre que dans beaucoup de pays développés. Les comportements peu responsables sont donc encore plus courants et normalisés. Et sans que cela vienne de plus riches : tu as du voir comment les gens jettent tous leurs déchets par les fenêtres des voitures, bus et trains ? Il y aura toujours quelqu'un pour ramasser...

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  4. C'est la meme mode a Delhi (de gros modèles bien gras).Oui tu as raison,ces chiens ne doivent pas vivre bien longtemps,quand on connait les besoins d'un saint bernard...besoin d'espace,de froid etc
    J'y ai meme vu un husky une fois;déjà que ça me choquait d'en voir en France!!!

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    • @ Zaneema : j'imagine que c'est la même chose dans tous les quartiers indiens où sont présents des familles plus riches, avec un comportement également plus américanisé (grande maison, grosse voiture, gros chien, show-off, show-off, show-off...).
      Oui, cela ne m'étonne qu'à moitié que tu aies vu un husky à Delhi, j'avais vu un malamute à Bombay, j'ai cru que c'était une hallucination (due à l'air climatisé qui me rappelait le froid polaire, les chiens de traineau, hihihi...) !

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    • @ Nekkonezumi : c'est vrai qu'avec un chat, c'est plus discret. Pas besoin d'engager un litièrewalla, c'est la maid qui s'en chargera 🙂

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  5. waouhh ! J'aime bcp cette nouvelle banniére, ça refléte un peu ton humeur du moment , non ?? !)
    Même éducation que toi concernant les chiens ... du coup, j'en ai pas !

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    • @ Isa : hihihi... une envie terrible, presque physique, d'aller en Asie mais celle de l'Extrême-Orient ou du Sud-Est, pas celle du Sud où je suis... et une envie de dire que oui, j'ai donné de mon temps, de mon énergie, mais qu'à un moment... 🙂
      Voilà, et j'imagine que quand tu auras les conditions d'en avoir un tu y songeras, mais pas avant ?

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