De l’art de vomir

Je ne parlerai pas ici de gastro-entérite, mais d’une réflexion qui me taraude depuis plusieurs mois, ravivée sur un point précis par un récent billet de Mauvais Père et qui touche à mon propre comportement sur Twitter et à celui de ceux que j’y lis.

J’ai fini il y a quelques semaines par défollower de nombreux comptes et par en faire taire d’autres. Et je ne dirai pas que ce n’était pas de gaieté de coeur : sur le coup j’ai pris sur moi, par la suite j’ai respiré. Il me fallait être cohérente : m’agacer de plus en plus régulièrement en lisant des tweets, passer de la lassitude à la colère trop vite et trop souvent, voir mon humeur modifiée par des mots qui me heurtaient moins pour leurs positions que pour leur outrance calibrée-pour-Twitter… autant couper court. Je pouvais me défollower moi-même comme je l’avais fait il y a longtemps ou ne plus suivre les comptes qui ne correspondaient pas ou plus à ce que je souhaitais lire et qui, surtout, finissaient par influencer mon humeur.

Parce que si la TL est ton salon, elle est aussi le mien.

Comme pour Facebook, le rapport à Twitter est rarement uniquement informatif : il s’y crée du lien, amical, affectif ou intime par la présence régulière, entretenue par des mentions, des bavardages et des clins d’oeil personnalisés. On y rencontre les autres et soi-même, et je m’y découvre sous un jour qui me plaît de moins en moins. Il y a ceux qui disent beaucoup, ceux qui disent peu, ceux qui ont un blog bien antérieur, ceux qui ont créé un Tumblr. Certains en font leur tribune aux oiseaux, prêchant sans beaucoup de réponses, d’autres s’y découvrent une passion pour la glose télévisuelle. Et le temps qui passe, l’hyper polarisation des débats (le prétexte-foutage-de-gueule étant le format court de Twitter : non, Twitter n’est qu’un média, c’est nous qui le polarisons) et la nouveauté passant, ta TL se fait de moins en moins espace de dialogue, et plutôt réflexion à voix haute ou promotion.

Revenons au billet de Mauvais Père.

Celui-ci y fulminait contre la récente mise au pilori de V. Trierweiler, contre les moqueries et leçons assenées sur les réseaux sociaux. Je partage son agacement, mais allons plus loin que le contexte d’un scandale politico-people : sur Twitter seulement, combien de tweets ne sont pas empreints de près ou de loin de moquerie ? combien ne sont pas bien fiers d’une formulation à l’emporte-pièce appliquée là où ça fait mal ? De moins en moins. Twitter EST par définition une place publique où les égos s’étalent dans un petit cénacle acquis par avance ou presque, où l’on se reconnaît par clins d’oeil et l’on s’y coopte par hashtags. Oui, Twitter est un réseau. Et de fait, la moquerie est une des utilisations les plus jouissives et courantes de ce réseau.

Réfléchissons.

Reprenons le contenu des LT d’émissions télévisées : le samedi soir ou le lundi, en fait presque tous les soirs de la semaine, c’est à se demander s’il est besoin de payer une redevance pour (sa)voir ce qui se fait et se dit sur le petit écran. Dans ce cas précis, qu’énoncent les tweets ? La moquerie, nommément dirigée à l’encontre de tel agriculteur ou de telle cuisinière novice ou de tel apprenti-chanteur ou du présentateur. En TL, on se complaît à se pousser du coude en soulignant le défaut d’une coiffure, d’une manière de parler, d’un bégaiement, d’une maladresse ou d’une bêtise supposée. L’émission a bien sûr déjà orchestré ledit défaut, MAIS c’est en place publique que désormais on vient faire montre d’un humour vif et décapant. Car la moquerie, Mauvais Père, est le moteur le plus « rémunérateur » d’un réseau social où la petite phrase, de fait 140 caractères maximum, est la règle : aller vite où cela fera mouche pour avoir un succès auprès de ses followers voire auprès de personnes qui ne te suivent pas encore mais qui, devant ton humour incroyable, vont se hâter de te suivre. Et l’on y est d’autant plus engagés que les médias, télévision et journaux, se nourrissent des réseaux sociaux pour y puiser les « petites phrases » qui seront leurs sources ou leurs illustrations (regardez comme les citation de Twitter deviennent légion). Dans ce contexte, la moquerie, c’est la gloire à peu de frais.

Réfléchissons plus avant. Combien de tweets lisons-nous et écrivons-nous (je m’inclus bien dans ce « nous ») chaque jour, et dont l’unique but est de montrer à quel point nous sommes supérieurs ? Par notre différence, notre décalage, en un mot comme en cent, pour montrer à quel point nous sommes plus aware que ceux qui nous entourent ? Nous dépeignons, parfois avec force détails, les déconvenues de collègues, de covoyageurs, d’élèves, d’amis ou même de proches et l’on se régale à tailler en pièces collectivement une blogueuse maquillage dont on détaille patiemment, minutieusement, les bévues et les maladresses. On tourne en dérision le moindre mot, la moindre image, la moindre référence à V. Trierweiler ou F. Hollande pour bien montrer à quel point NOUS, nous aurions été plus prudents/fidèles/etc. La plupart du temps, on rétorque que la moquerie n’est que de l’humour : foutaise et hypocrisie. Se moquer de l’autre, c’est pointer du doigt un aspect inconfortable de sa vie (une situation, un choix, une particularité physique) et bien souvent le relier à un jugement moral, et l’apogée, c’est de feindre de croire que c’est une manière de faire de l’humour dénuée d’enjeu de pouvoirs et de conséquences. Sur Twitter, se moquer du personnage public ou de l’ami devient un délice, un sport même : on montre sa verve en peu de lettres, on est couvert par l’anonymat, et l’on se goberge en choeur en place publique avec parfois une ovation sous forme de RT. Et puis 140 caractères ce n’est rien. Et puis c’est pour s’amuser un peu. Et ils ne le sauront pas. La moquerie sur Twitter, c’est la curée sans risque.

Et il y eut le Shadenfreude, la jouissance du malheur d’autrui. Mauvais Père parlait de V. Trierweiler et de la volée de tweets moqueurs qui s’en est suivi : honnêtement, n’est-ce qu’une histoire de V. Trieweiler ? Il n’est pas rare en TL, ce mépris pour la personne qui méconnaît des codes érigés par une instance supérieure (vox populi ?) comme étant le bon goût et le bien-savoir. Combien de photos volées dans une réunion, un bureau, un métro, un train, figeant une cravate mal assortie, brocardant une chemise à manches courtes, dénonçant un manteau qui ne s’accorde pas à la mode décrétée ? Sans vergogne, sans flouter le visage parfois. Combien d’histoires racontées derrière l’anonymat relatif de Twitter pour relater l’inconséquence de proches ? Alors oui, il y a la nature humaine : qu’il s’agisse de mise au pilori ou des fourches patibulaires, l’exécution symbolique ou réelle du puissant a toujours été publique. Et le puissant est aujourd’hui, par la monstration de soi permanente des réseaux sociaux, « celui dont on parle » : la fameuse blogueuse maquillage, la fameuse V. Trierweiler ou finalement, n’importe qui dont Twitter fera son défouloir temporaire. A petite échelle, l’ « ami » « qui s’est fait avoir », à grande échelle les déboires des célébrités actuelles. On jouit alors en place publique de sa propre sécurité en s’autorisant même parfois une petite leçon de vie : « il fallait bien qu’elle s’y attende… nan mais franchement il faut être idiot pour… ». Et pourtant, il y a peu de gloire à se moquer de ceux à qui l’on ne donne pas la possibilité de répliquer.

Ne réfléchissons plus finalement, car il y a trois évidences. Un média n’est jamais rien que ce que l’on en fait, alors il faut faire des choix : couper court, sabrer, interrompre, renouveler sa TL. Et Twitter est le média de la monstration de soi anonyme : il faut s’y rendre en connaissance de cause. L’humanité s’y étalera dans toute sa splendeur, des démonstrations de solidarité et de soutien à l’étalage de son égo et des petits maux de sa vie (moi la première), de l’agressivité surjouée ou libératrice à la joie claironnée. Mes bobos personnels envahissent tout autant ton salon que tes moqueries ou tes mots outranciers le mien. Parce que Twitter est ton salon, et qu’il est aussi le mien.

Mais il y a une limite. Quand on commence à vomir dans ton salon.

… Et c’est à l’art de vomir que je voudrais dédier ce billet.

#Vomir est le hashtag qui ponctue les tweets les plus courts de vue. La mode est peut-être en train de passer mais des pestilences resurgissent. Dire que l’on « vomit » (ou deux-trois autres mots de violence viscérale ou charnelle imagée) est devenu la formule pour condamner un comportement, une loi, un choix, une idée, un point de vue ou toute chose qui viendrait s’opposer à sa propre manière d’envisager le monde. Vomir a valeur d’excommunication dans les rangs bien serrés d’une TL : on dégaine le hashtag et, c’est parti !, tout le monde de vomir en choeur ! Pas besoin d’expliciter ou d’argumenter, quel confort intellectuel ! Pas besoin d’agir non plus (« report as spam », déclaration pour contenu illégal etc.), on vomit juste. On a décrété, bien content de soi, que d’un côté c’était blanc et de l’autre côté c’était noir, et l’on conspue gaiement entre soi mais publiquement. Vomir est une magnifique invention : c’est la pirouette rhétorique qui permet de se mettre en valeur comme censeur du bon goût ou du vrai-savoir, de se placer comme garant du Bien et du Mal et les RT seront l’occasion de se rengorger dans l’assurance que l’on a raison.

Mais il y a pis. On vomit tout et n’importe quoi sans mesure, sans gradation, sans modération du jugement. Le choix de quelqu’un, les vêtements d’un collègue, les idées de Louis-Arthur-Gonzague ou les propos de Dieud*nné : c’est un peu du pareil au même, tant qu’il y a un épouvantail sur la place publique et que l’on peut lui vomir dessus en faisant de grands signes pour rappeler que l’on est du côté du Bien. Vomir, c’est l’indignation à peu de frais.

Tu peux vomir bien évidemment. Tu peux te servir de Twitter comme d’un défouloir. Tu peux t’y moquer des grands de ce monde et des petits, y faire un charivari, tu peux éructer et compisser. Mais ce n’est pas parce que « 140 caractères obligent à restreindre sa phrase » : un format, si contraignant soit-il, n’induit pas les mots et attitudes. Le format et le média n’induisent pas la pensée. C’est un choix, qui découle du droit absolu de se sentir sur Twitter en totale liberté, sans contrainte, sans censure : c’est ta TL, c’est ton espace. Tu peux tout sur Twitter. Et même y réfléchir à la réception de ce que tu écris.

Car si Twitter est ton salon, il est aussi le mien.

Si tu vomis, je compatis.

Je te tapote le dos, je t’essuie la bouche.

Et je te mets dehors.

HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)

11 commentaires

    • @Eric : merci beaucoup ! Et ton tweet agacé sur ce point m'a justement donné l'élan pour rédiger tout ça, que j'avais sur le coeur (naaan, pas envie de vomir 😉 ) depuis un certain temps ! 🙂

      HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)
  1. Je n'ai jamais twitté de ma vie,ni Facebooké d'ailleurs,pas envie de vomir ,quoi...dommage que ces médias servent de cuvettes communes.

    HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)
    • @Zaneema : hihihi... c'est un des aspects de Twitter, car heureusement il y en a un autre très positif, qui est la franche rigolade, l'information sur des thèmes que l'on aime etc. C'est vrai qu'on a tous envie à un moment de régler ses comptes avec quelqu'un, de dire "je l'avais bien dit", de lâcher de la colère, de l'envie etc. : le problème est que depuis quelques mois j'ai l'impression que ces moments, qui devraient être privés, entre amis proches, en messages cachés etc., s'étalent en public, à la fois au mépris des personnes concernées (mais bon, ça c'est le jeu des cancans), et au mépris de ceux qui lisent et n'ont rien à voir avec ça... Si je refuse de lire les cancans people dans les journaux et magazines, ce n'est pas pour retrouver des cancans (même pas people 😉 ) sur Twitter 😉

      HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)
  2. étrange de lire cet article le soir même où je disais à des personnes lors d'un apéro web (donc des personnes à priori toutes ultra connectées en tous cas plus que la moyenne) que plus j'allais sur twitter et moins j'aimais la nature humaine ) ..à quoi ils m'ont répondu que je choisissais mal les gens que je suivais (en réalité une poignée, si on se penche sur les statistiques les twittos très actifs sont peu nombreux).
    Je me sers de twitter professionnellement (annonce d'emploi, veille) mais je lis le reste et cela me fait régulièrement l'effet d'un immense défouloir, crachoir où sous prétexte de l'immédiateté et de la concision, on coupe dans le vif sans faire de détails et surtout on ne se soucie guère de ce que la personne sur qui on crache pourrait ressentir si elle lisait tous ces tweets qui la concernent (et là je pense en particulier à tous ces TL d'émissions de télé où pour faire un bon mot on hésite pas à surenchérir)...alors pour contrebalancer, je regarde mon fil de photos sur instagram où tout n'est que couchers de soleil, chat à sa mémère, paysages de vacances, victuailles diverses et variées, cela ne dit rien de l'injustice, de la violence, de la pauvreté, des conflits mais cela me fait du bien ))

    HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)
    • @Chocoladdict : merci beaucoup pour ton commentaire, et effectivement, c'est exactement ce sentiments de devoir se mettre en retrait face au défouloir. J'avoue avoir eu la terrible envie que les personnes, famille et amis et collègues, brocardés sans vergogne découvrent les comptes qui parlent d'eux...
      Et puis, finalement, nous n'avons pas attendu après Twitter pour être au courant de l'injustice, de la violence, de la pauvreté et des conflits : l'immédiateté apporte quoi en réalité ? A part l'impression, ô combien factice, d'avoir "participé" à quelque en RT l'information ou en s'émouvant en public ?

      HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)
  3. Ce billet m’interpelle comme certains #Hashtags interpollent :
    ne touité-je que par vanité sans aucune humanité ?
    Et même ici répondant de façon amuse-gens (peut-être), ne cherché-je pas
    encore à me faire valoir ?

    Quand t’arrives sur Twitter, t’es un peu seul au monde.
    Tu parles tout seul dans le huis clos de ta salle de bain (comme disait un chroniqueur radio)
    et tu brûles de rentrer dans le bain.
    Tu parles dans le vide, et tes touites sont des bide(t)s.
    Qui aime parler dans le vide à part Dieu et Armstrong (Neil pas Lens) ?
    Alors tu prends une PP aguichante (et pas une où Guy chante, sauf quand part Béart)
    Alors tu balances des piques qui piquent que t’espère épiques sur tous les tags qui passent.
    De façon entêtée sur ceux qui sont en #TT.
    Et quand arrivent les abonnés, tu te sens aimé.
    Surtout si c’est des D bonnets à l’air de bon air.
    Qui n’a pas envie d’être aimé, admiré, favé, RTT ?
    Peut-être faudrait-il donner à tout nouveau twittant
    100 abonnés, tambour battant, des followers pas faux lovers ?

    Très vite tu t’aperçois qu’en 140 tu vas pas refaire le monde comme en 40.
    Si tu débats, tu t’attires 40 haines qui te mettent en 40 haines.
    Reste humour et jeux de mots.
    Mais il faut bien le reconnaître l’humour est plus grinçant
    aux dépans de quelqu’un.
    Quand t’uses du #Vomir (jamais fait) c’est plus pour ton (c/g)lan.
    Tu sais bien qu’un « Voter FN et #Vomir » ne va pas pousser Jean-Marie
    à allumer le gaz pour vérifier son immonde théorie. (qui a dit dommage ?)
    Qu’un « Voir burka et #Vomir » ne va pas inciter Tariq Ramadan
    à emmener sa (ses ?) femme(s) en bikini à la piscine Deligny.

    Mais le plaisir suprême, est de s’imaginer que quelque part
    à ton insu, une blonde à gros seins recrache son café en éclatant
    de rire et en s’esclaffant : « #Mékilékon ! »

    En gardant toute la mesure qu’il faut, est-ce que sur Twitter
    l’important n’est pas tant #SKIDI mais #KIKILDI ?

    PS : En dénonçant Twitter, tu as aussi gagné un suiveur.
    Paradoxe ?

    @unehistoire1 (Pub 🙂

    HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)

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