Voyage au coeur de l’Hybride

Il y a quelques années, Rina Banerjee, artiste indienne vivant à New York, s’invite au musée Guimet…

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… provoquant cette intrusion toujours bienvenue de l’art contemporain dans un lieu serein vu comme « classique ». L’oeil s’est habitué à cet écrin blanc et crème, on s’y promène parmi les rondeurs Gupta, la minutie des tangka tibétains et la perfection des bols coquille d’oeuf chinois. La palette du musée Guimet est le beige et le rouge doux, les ocres et terre-cuite, les gris tendres et les blancs cassés. Les rouges et bleus sombres des textiles ont vu le temps passer, la céramique ajoute le céladon Song, le doux sancai (glaçure de trois couleurs) des chevaux Tang, le bleu sur blanc des vases Ming. On évolue habituellement dans le pastel et le tendre, quand soudain Rina Banerjee impose une explosion de couleurs et de formes étranges au visiteur.

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Tout comme avec Murakami et Koons à Versailles, je ne résiste pas. Et c’est là où je sais que la scénographie d’une exposition a réussi : quand la surprise, l’inquiétude du regard, la recherche de repères me saisit. Il y avait quelque chose de glaçant à voir se lover entre deux sculpture du Châmpa, près d’un vase Song ou d’une tunique de l’Inde ancienne, un amas fantasque mais structuré de dentelles et de plumes et dont surgissait un squelette d’animal ou de fil de fer. D’un côté la perfection sereine et silencieuse des arts asiatiques, de l’autre le maëlström de textures et de sensations.

Et le besoin de faire du lien. De trouver ici et là des réminiscence de l’Inde ou du Bengale dont est originaire Rina Banerjee, une évocation de Ganesh ou bien encore les réminiscences de l’époque coloniales dans les descriptifs et titres oniriques des oeuvres. « De la jungle, séduite par la frontière coloniale, elle explorait avidement et savourait l’oralité, poussée par le rêve et le destin ; plus qu’elle ne l’embrassait, elle imaginait le captif étranger comme partie d’un jardin désordonné« . Ou encore pour l’oeuvre qui comprend le squelette de gavial (au début de ce billet) : « Le monde comme fruit consumé – Quand les empires se disputèrent populations et plantations, enfouis dans l’ancienne devise coloniale, d’un melon noir comme l’encre – fleur épicée – jaillit un gavial qui se jeta sur le monde pour l’avaler comme un fruit pas encore tout à fait consumé« . Oui, ce sont des titres d’oeuvres…

Rina Banerjee dresse dans ce musée si français qui donc organise, catégorise et synthétise des oeuvres d’art, des chimères artistiques : ce qui nous gratte, nous inquiète, nous remet en cause, une création mythologique mélangeant les espèces et les genres, n’appartenant ni à un monde ni à l’autre ou appartenant aux deux en même temps !, qui rejette les catégories, repousse les limites, trahit les certitudes et autorise le débordement et la création de l’inconnu.

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L’hybridation donc. Le contemporain exubérant dans le sage musée. L’ancien et le récent. Mais aussi l’animal et végétal qui ont forme et mémoire d’humain… C’est finalement la réflexion que mène Enki Bilal dans son oeuvre et l’exposition « Mécanhumanimal » aux Arts et Métiers, la machine et l’animal comme extension et/ou augmentation du corps humain dans une vision quasi uniquement pessimiste pour cet artiste, alors que Rina Banerjee choisit d’y imprimer une vie vorace. La même réflexion encore me disais-je en regardant Äkta människor : non l’interrogation sur « où s’arrêtent nos valeurs humanistes quand il s’agit d’exploiter ce qui nous obéit ? » mais celle sur l’hybridation entre la machine et l’humain, sur la transformation corporelle qui pourrait amener une transformation spirituelle.La création de l’inconnu.

En ce printemps 2011, Rina Banerjee réarticulait les genres et recomposait sans se soucier (ou justement, en se souciant ?) de mélanger le règne animal, végétal et minéral. Elle exposait dans un temple où les humains sont de pierre, où les dieux sont de marbres, où les animaux sont de kaolin et les plantes de pigments.

L’art est composite par essence, il est hybridation de fait. Et Rina Banerjee en la matière n’a pas peur de l’extravagance.

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D’autres artistes indiens ou d’origine indienne dont j’ai parlés ? Anish Kapoor au Grand Palais, les Singh Twins à la National Portrait Gallery de Londres, Nilofer Suleman à la galerie Art Musings de Bombay et un peu de Manjit Bawa ici.

Note : l’exposition a eu lieu en 2011, sa présentation est ici et le mini-site de l’exposition . Guettez la programmation, il y aura d’autres confrontation de cette sorte, sans aucun doute… Enki Bilal expose « Mécanhumanimal » jusqu’au 16 mars au musée des Arts et Métiers.

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