Mes élèves, un drame et des mots

[Ce billet n’a pas été simple à écrire. Il rassemble à la fois mes interrogations, celles de mes élèves, ce que j’en comprends et ce que j’en ai tiré comme réflexions. Pas de conseils ici, mon expérience seulement.]

Marche Charlie Hebdo

Place de la République, Marche du 11 Janvier 2015.

Que leur dire…

Le prof, c’est un être humain qui gère de l’humain, et l’histoire de chacun donne une coloration à la manière dont nous dialoguons à chaud avec nos élèves sur des événements tragiques comme ceux survenus en cette semaine de rentrée. J’ai un bagage, et je savais jeudi dernier qu’il allait me falloir compter avec, quand bien même je devais « être prof ».

Mon histoire, c’est la sidération pendant les trois jours qu’ont duré les attentats de Bombay en 2008, qui ont laissé la ville groggy pendant des mois ; ceux aussi de 2011 qui ont tué à quelques centaines de mètres de chez moi. Le fait en tant qu’Occidentale d’être cible potentielle s’est ajouté à mon histoire parisienne et de voyageuse, d’avoir conscience que cela peut sauter n’importe où, n’importe quand. De savoir par mon histoire familiale que cela peut VRAIMENT dériver n’importe quand. J’ai retenu de cela le besoin de se réunir, de se serrer, de parler encore et encore, et d’accepter les regards qui se croisent et s’embuent : l’élan viscéral de se sentir humain, solidaires, de partager la peine et l’angoisse. C’est avec cette idée que je suis entrée dans une salle des profs bouleversée.

Mon histoire, ce sont aussi les cris « Vive Al-Qaeda, vive Ben Laden ! » proférés par des 4è devant les attentats de Madrid au début de ma carrière : colère, indignation, incompréhension, et l’absence de réponse institutionnelle à cela. Mes élèves n’avaient-ils donc pas d’empathie ? de retenue ? étaient-ils tous des militants potentiels de l’intégrisme armé ?

Un peu plus d’expérience m’a appris qu’ils étaient surtout des adolescents ; qui plus est, des ados élevés au pied d’un HLM du Val-d’Oise, enfermés dans un microcosme dont ils savaient déjà pertinemment qu’ils ne sortiraient jamais. Les vacances, c’était avec un sourire éclatant aller voir leur tante à Villiers-le-Bel. Des ados dont l’univers était pour nombre d’entre eux marqué par un non-dit absolu sur l’histoire familiale, le pourquoi de l’émigration (et je le vérifie encore aujourd’hui), si ce n’est « la guerre ». L’enfermement, géographique, corporel, intellectuel, culturel et historique.

Voici les élèves auxquels j’allais m’adresser.

Mes élèves.

Alors eux d’abord

J’ai commencé chacun de mes cours en leur disant : « il s’est passé quelque chose de grave, qui touche de nombreuses personnes et qui touche à plein de choses. Quelqu’un peut raconter ce qui s’est passé ? ». J’ai refusé d’encadrer leur pensée, de recourir au bouclier des programmes : faire rentrer le réel dans des définitions et des cases érudites créées par des adultes pour des adultes. J’ai refusé de partir du principe que j’allais contrer frontalement, du haut de ma position d’adulte et de prof, les éventuels dérapages : quand il faut lutter pied à pied contre des thèses fallacieuses, des idées dangereuses, il faut laisser les ados s’exprimer librement plutôt que de se protéger en réduisant immédiatement leur lecture à « liberté d’expression », « liberté de la presse », « laïcité ». Les grands concepts viendront après, peut-être, selon ce qu’ils diront.

Il s’est avéré que presque tous avaient suivi avec attention le déroulement des événements. Ils avaient retenu les noms, les lieux, les hypothèses déjà avancées par les médias. Ils avaient pour certains une lecture bien arrêtée, oscillant entre le « ouais Charlie Hebdo est allé trop loin mais en même temps ça ne se fait pas de tuer » et le « c’est n’importe quoi, c’est pas des musulmans ça » et « en même temps, hein, la classe d’avoir une kalach !  » . Le travestissement de l’émotion, les mots et les provocations de purs ados. Mais ils étaient en demande de clarification, tout autant que nous.

Et ça, chercher le pourquoi, c’était déjà une victoire.

La disproportion

Dans l’attentat contre Charlie Hebdo, l’inadéquation entre l’insulte et la riposte n’est pas du tout venue à l’esprit de la plupart de mes élèves. Il faut dire que ces derniers se battent jusqu’à casser des nez, avoir la bouche en sang, se faire fracturer un tibia, pour une insulte : pour des mots proférés dans une classe, un couloir ou une cour de récréation. Juste des mots. Réellement du sang, réellement des plâtres. Dans une large proportion, ce sont aussi des élèves qui connaissent les coups comme réponse à des notes scolaires, des paroles, des soucis familiaux. Et quand ils s’intéressent d’eux-mêmes à la géopolitique, c’est uniquement au conflit israélo-palestinien, vu au prisme encore de la disproportion : de pauvres hères dépenaillés et affamés dans les ruines de Gaza face à la mécanique huilée et ultra-puissante d’Israël. La disproportion est constitutive de leur vision du monde, elle est naturelle et fait loi. Je soupçonne même qu’il y ait un peu de Schadenfreude dans l’attitude de certains, si les coups tombent sur quelqu’un d’autre, c’est qu’ils ne tombent pas sur moi.

Alors là, j’ai repris la parole. J’ai comparé, donné des exemples simples. J’ai fait appel à leur sens de l’équité, très éveillé à cet âge-là le plus souvent. Où se trouve la gloire à frapper plus fragile que soi ? Où se trouve l’héroïsme dans la kalachnikov qui anéantit le crayon ?

La compassion variable

Dans leur description des faits connus, leur compassion était quasi nulle il faut bien l’admettre. Tout d’abord parce que Charlie Hebdo ne signifie absolument rien pour eux : par leur âge, leurs centres d’intérêt, leur milieu social, ils ne le lisaient pas, n’en connaissaient pas les dessinateurs et il n’y a aucune raison pour que des gamins nés entre 2000 et 2004 aient eu ce journal entre les mains. Et l’empathie quand on est ado, elle est d’abord pour son nombril, j’en veux pour preuve les hurlements de rire quand un élève tombe de sa chaise. Charlie Hebdo leur évoquait aussi une polémique sur la représentation de Mahomet parce que, uniquement, les médias l’avaient rappelée dès mercredi.

La compassion variable est un trait humain pointé du doigt à chaque catastrophe aérienne ou géologique : l’empathie est créée par la proximité réelle ou supposée avec les victimes, et nous pensons le monde en terme de proximité géographique (ce qui arrivait en Inde m’émouvait encore plus quand j’y vivais), religieuse (les églises brûlées et les chrétiens massacrés dans l’Est de l’Inde ou en Birmanie, avec les musulmans au passage, par les hindous et les bouddhistes touchent profondément des catholiques de mon entourage), ethnique pour certains (cela ne fait pas partie de mes cadres mais je le conçois).

Comme mes élèves ne sont pas moins humains que les autres, leur émotion s’est dévoilée quand ils ont entendus les noms de Ahmed Merabet, de Mustafa Ourrad, quand ils ont vu la couleur de peau et le nom de Clarissa Jean-Philippe. La proximité culturelle, ethnique. Et étrangement, l’âge a fait mouche aussi : ils se sont indignés en prenant conscience que certains des dessinateurs étaient des « papys ». Des papys armés d’un crayon, face à des kalachnikovs tenues par des trentenaires.

« Ah ouais, là, c’est abusé quand même…« 

Il n’y a pas de fumée sans feu

Mais dans un univers fait de sanctions et de coups, lorsqu’il arrive quelque chose c’est qu’on l’a un peu cherché, non ? C’est sans doute l’argument qui revient le plus de la part des élèves, avec en ligne la polémique originelle, les caricatures de Mahomet, et la Une un peu trop fine pour qui veut ne trouver que de l’insulte partout dessinée par Cabu. Je n’ai pas eu besoin de leur projeter quoi que ce soit : apparemment, tous les avaient vues ou faisaient semblant de les connaître. Et de surenchérir sur le fait qu’ils avaient aussi regardé la vidéo où Ahmed Merabet se fait exécuter, ainsi que celles des journalistes régulièrement assassinés par Daesh.

Horreur… ou bien peut-être les rodomontades et roulements de mécanique d’adolescents…

Toujours est-il que le journal l’avait bien cherché, et donc avait mérité la punition. On rejoint là les réflexions qui surgissent souvent pendant l’année témoignant selon moi du besoin de justifier la terreur : si les nazis ont voulu exterminer les Juifs, si « tout le monde » déteste les Juifs, c’est que quelque part… ils ont fait quelque chose pour le mériter. L’enfant comme l’adolescent a besoin d’une explication à l’horreur, et quand bien même la peine est disproportionnée, ils établissent une réciproque immonde mais « logique » : si tu fais quelque chose, tu es puni ; si tu es puni, c’est que tu as fait quelque chose. Alors les dessinateurs de Charlie Hebdo l’avaient nécessairement cherché. Sinon, c’est que le monde ne tourne pas rond…

Que mes élèves n’aient aucune idée de ce que contenait et contient le reste du journal, les caricatures vitriolesques de Le Pen, du pape, de Dieudonné, de Sarkozy, d’imams et de rabbins, de tout le monde en fait n’a aucune importance. Charlie dans leur imaginaire est le journal d’une seule chose, qui aurait touché leur âme et leur conscience, la représentation du Prophète. « Sérieux, ça ne se fait pas, ça, c’est de l’irrespect Madame !  » .

Alors parlons un peu de respect.

L’oukaze du respect

Cette notion, on en a badigeonné mes élèves depuis leur plus tendre enfance. Elle est devenue depuis une vingtaine d’année le quatrième mot à ajouter à la devise de la République, en banlieue pauvre en tout cas : le Respect, ce sera le cadre de pensée qui empêchera un peu la marmite d’exploser. Comme le mot « tolérer » (quel mépris : tolérer, c’est accepter de subir !), le respect a tellement été vidé de sens qu’il s’applique à tout indifféremment : on doit « respecter » les autres, accepter leur couleur de peau tout en cédant la place aux personnes âgées, ne pas cracher par terre et écouter l’opinion des autres, ne pas couper la parole aux professeurs et ne pas insulter les élèves. Ce respect-là, tel qu’il a été enseigné, cela s’appelle la politesse.

La loi elle ne s’occupe pas de politesse, mais ça mes élèves ne le savent pas. Pour eux, Charlie et tout le monde est contraint par la loi d’être poli et précautionneux : ne pas insulter la religion des autres, ne pas moquer les convictions des autres puisqu’il est écrit que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses  » . Inquiéter, embêter, moquer, respecter : c’est du pareil au même. De plus, la loi de 1905 reconnaissant toutes les religions et leur pratique, comme la pratique de l’Islam implique de ne pas représenter Mahomet il est imposé à tous de ne pas insulter les croyants musulmans en représentant Mahomet… Raccourcis, contre-vérités, mésinterprétations, raisonnements erronés : là, on le sait, il y a du boulot et ce n’est pas avec la portion congrue d’heures de cours que l’histoire-géographie-éducation civique reçoit avec des programmes pantagruéliques qu’on en arrivera à bout.

La relativité des lois

Et puis, il faut revenir à Antigone.

Expliquer encore et encore à des esprits pétris de religieux, et pas seulement d’Islam mais aussi de christianisme évangélique, que la religion est une conviction personnelle, qu’elle n’est pas au-dessus de la loi quand bien même elle importe à notre esprit, notre coeur, nos traditions. Qu’il ne peut pas y avoir blasphème dans un journal français, puisque les dessinateurs n’étaient pas musulmans, qu’ils n’ont pas obligé les musulmans à dessiner des images du Prophète, qu’ils ne les ont pas obligés à les regarder ou à acheter le journal. Et parce que tout simplement, le délit de blasphème n’existe pas en France.

Ils comprennent très bien que chaque pays a ses lois, mais leur inexpérience leur empêche de savoir qu’une personne qui se déplace est soumise aux lois du pays où elle se trouve. Je leur ai raconté la déférence absolue due au roi de Thaïlande et à ses photos quelle que soit notre nationalité, je leur ai dit l’interdiction pour moi, femme, de conduire en Arabie Saoudite alors que j’ai le permis, de me rendre et me déplacer sur le territoire si je ne suis pas accompagnée d’un tuteur, père, frère, mari ou fils, alors que je suis indépendante. Parce que c’est la loi, quand bien même elle offense mes convictions personnelles et éventuellement religieuses. La loi humaine est au-dessus des lois divines. Sauf dans les pays où il est clairement dit que c’est la loi religieuse qui fait loi. Mais ce n’est pas le cas en France. Il y a là une nécessité de hiérarchiser, de séculariser la pensée, avec des élèves qui ont du mal à faire la part des choses.

Expliquer enfin qu’une tradition religieuse ne concerne que les croyants de cette religion, pas les pratiquants d’autres religions ou les non-croyants. Ce qui est évidence pour moi, adulte et athée, ne l’est pas du tout pour eux. Je n’ai pas, habitant avec toi, à exclure le porc de mon assiette si ta religion implique de ne pas en manger : il en va de la politesse que lorsque je cuisine, je te propose un plat sans porc, mais qu’il en va aussi de la politesse que tu ne m’imposes pas de manger sans porc (tiens, ça me rappelle mon billet sur le végétarisme ça…). Tu ne m’imposes pas tes contraintes, je ne t’impose pas les miennes : c’est ça, la politesse, le « respect ».

Compliqué. Il faudra y revenir, encore et encore.

L’art du professeur.

Le « deux poids deux mesures »

Progressivement apparaît en dialoguant avec les élèves un sentiment sous-jacent qui parcourt bien des cours d’histoire. Le sentiment de ne pas être écoutés, de ne pas être entendus surtout.

Evidemment c’est en grande partie lié à cet âge où l’on rit et crie fort dans les rues pour se faire remarquer, l’âge où l’on surjoue l’agressivité en pensant que c’est de la personnalité, l’âge où pour s’affirmer soi on s’affirme avant tout contre tous. Mais il y a aussi, notamment pour mes élèves d’origine algérienne, une mémoire occultée faite de confusions, de non-dits et de sang : bien souvent à l’origine de la migration de leurs parents, et non de leurs grands-parents, la Guerre d’Algérie est un point de cristallisation. Mes élèves confondent en toute candeur la guerre d’indépendance et la guerre civile, en font un récit manichéen…

Mais si vous saviez. La demande pressante, presqu’une supplique, chaque début d’année dès la 6è : « Madame, on parlera de la Guerre d’Algérie cette année ?  » . Si vous saviez le poids mémoriel, le travail énormissime qu’il y a à faire pour rendre droit de cité à une mémoire qui empoisonne ces gamins et nous avec, un désir de vengeance fondé sur rien, un besoin que soit reconnue une souffrance endossée par chaque génération. Pas un mea culpa mais un véritable travail d’historien et de pédagogie pour donner des pistes, un cadre de réflexion, une place réelle dans les mémoires et pas un cours-croupion, qui permettrait à ces élèves et à ces jeunes d’accéder à une reconnaissance après laquelle ils désespèrent.

L’étape suivante ? Comme ces ados ont souvent l’âge émotionnel d’un enfant de 3 ans, pire que de ne pas être écouté, c’est avoir le sentiment que d’autres sont plus écoutés que nous.

Le sentiment d’injustice est alors décuplé.

Se rendre intéressant

La dieudonnisation fonctionnant bien, la question des Juifs et de la Shoah est de temps à autre soulevée par un élève plus provocateur ou plus volubile que les autres. Cela prend la forme du « on parle trop des Juifs et pas assez de « nous »  » , « on peut blaguer sur les Arabes mais pas sur les Juifs » . Si l’on enlève les mots qui heurtent et que l’on écoute le ton, on entend effectivement « moi, moi, moi » .

J’ai au début de ma carrière été désemparée de devoir expliciter ce qui relève de l’empathie, de l’humain, de la finesse, ou peut-être d’une éducation. Mais j’explique. Rire de la mort de 6 millions de personnes, femmes et enfants compris, dans des circonstances d’une cruauté infinie est aussi peu adéquat, drôle et pertinent que de faire de l’humour sur les tortures en Algérie ou les conditions et les conséquences de la traite négrière. Que faire de l’humour, c’est pointer une contradiction (du type : « t’es une fille, t’as pas de shampooing ?« … nan, désolée, c’est pour me détendre un peu…) et la mettre à distance pour faire passer un message, ou détendre l’atmosphère sur un sujet sensible ou douloureux. Voyez le Charlie Hebdo d’aujourd’hui en la matière…

S’ajoute parfois l’argument que si les synagogues et les écoles juives sont protégées, c’est parce qu’ « il n’y en a que pour les Juifs et qu’ils veulent se rendre intéressants » . Il y a l’idée qu’être protégé c’est être faible, ou bien auréolé de prestige : comme une star ou un footballeur, on est quelqu’un d’important. Donc si les Juifs sont protégés… c’est qu’ils sont plus importants que les autres ?

Lutter pied à pied, doucement, ne pas tomber dans le panneau de la confrontation, opposer des faits, des faits, des faits. Rappeler que des Juifs ont été tués à Toulouse, dans une école, récemment et uniquement parce qu’ils étaient juifs. Et que l’HyperCasher n’était pas une épicerie choisie au hasard mais parce que juive et fréquentée par des Juifs. La menace est réelle et concrète. Il y a des morts au bout.

Et puis raisonner un peu par l’absurde. Leur demander s’ils désirent donc que des musulmans soient tués dans un attentat contre une mosquée pour enfin « avoir la chance et le privilège » de vivre une vie surveillée ? D’aller à l’école coranique accompagnés par des policiers ? Leur demander aussi s’ils pensent que les gamins de Peshawar trouvent ça drôle d’avoir gagné le privilège d’aller à l’école protégés…

La spécificité de l’antisémitisme

Mais le plus intéressant dans tout cela, c’est de revenir aux mots.

Une des questions qui hérisse mes élèves, c’est de savoir… pourquoi on a besoin d’un mot différent dans la loi et dans le vocabulaire quotidien pour qualifier la haine des Juifs ? Leur interrogation est sincère et récurrente, parce qu’elle introduit encore cette idée que « pour les Juifs, c’est toujours différent » .

Le racisme est un des autres sujets transversaux de la scolarité de mes élèves, on l’aborde par les programmes, on l’aborde par les projets dès le primaire. Le racisme opère sur des critères d’ethnie, de religion, d’origine géographique etc. Dans leur idée, l’antisémitisme devrait être intégré sous le concept de racisme. Et c’est peut-être ce qui m’a demandé le plus de temps à clarifier pour moi-même… pourquoi le racisme est-il distinct de l’antisémitisme… que recouvre donc cette notion d’antisémitisme…

… rien. Rien de concret. Ce n’est pas une question de pratique religieuse ou de concurrence. Ce n’est pas une question de couleur de peau. Ce n’est pas une question d’origine géographique. Ce n’est rien de physique, de culturel, de politique, ce n’est rien de tout cela. Peut-être la réflexion la plus édifiante à cet égard a été celle d’une élève me disant « Madame, quand on va dans le quartier des Juifs, ils nous regardent bizarrement » .

Voilà. Le rien absolu. Et tout ce qui s’engouffre dedans : les fantasmes et les rumeurs, tout peut avoir un sens puisque de toute manière, l’antisémitisme ne repose sur aucun critère concret. Tout peut donc venir l’alimenter : un peuple différent (rare), l’argent (toujours), la puissance occulte (moins à leur âge), la manipulation (plus). Le fantasme qui perdure depuis les débuts du christianisme, avec ses couches qui s’ajoutent à chaque crise de l’histoire : les rites sanguinaires du Moyen Âge, le critère du sang introduit par les rois espagnols, l’âpreté au gain des grands argentiers du roi et de l’industrie etc.

« Alors Madame, pourquoi leur tape-t-on dessus s’ils n’ont rien fait ? » . Pharmakos, le bouc émissaire, El Fennec me rappelant très justement ce proverbe shadok :

Proverbe Shadok

Alors ?

Un prof est sous le feu nourri de mille questions à la fois. Le dialogue est possible mais le débat serein ne l’est pas tant nous sommes tous face à nos limites quand ce qui nous semble évident, moralement et socialement, est mis en cause. Nous sommes en première ligne d’une lutte pour laquelle nous n’avons que trop peu de moyens, humains et horaires. Pas besoin de textes pétris de bonnes intentions, pas besoin de liens vers des séquences sur la liberté d’expression, pas besoin d’émission sur « comment parler des attentats avec les élèves » : donnez-nous des médecins scolaires, des assistantes sociales, des COP, des assistants d’éducation, des éducateurs, des profs payés et traités correctement. Donnez-nous des heures pour aider à réfléchir, interroger et comprendre le monde dans lequel nos élèves vivent et sont amenés à prendre part. Tout simplement.

Les propos de certains de mes élèves, rares pour les provocateurs, plus nombreux pour les « testeurs », paraissent outranciers ? Ecoutons-les. Que nous disent-ils d’eux, de notre société, de nous ? Ces élèves tâtonnent. Questionnent. Répètent. Provoquent. Essaient d’interpréter à partir des seuls cadres de pensée dont ils disposent. Ce sont des adolescents qui sont en train de se former. A les contrer en ridiculisant leurs vues que nous jugeons étriquées, passéistes et dangereuses, nous perdrons à chaque fois. Ce sont des ados et nous sommes des adultes. Ecoutons-les avant de les qualifier de « graine d’islamistes »…

Note : la véritable marche républicaine commence maintenant. La question de l’Ecole certes, mais de tout le reste aussi. Les services sociaux, le milieu carcéral, la prise en charge psychiatrique : tout cela relève de notre engagement de citoyen. Jusqu’où et comment sommes-nous prêts à nous engager ?

 

 

 

HIIIIIIIIIIIII !!!(1037)Boah...(57)

240 commentaires

    • Admirable propos, riche, étayé d'exemples venus de classes d'adolescents certes provocateurs parfois, mais curieux et à l'affût de vraies réponses à leurs interrogations. Cela m'a fait du bien de vous lire.

      HIIIIIIIIIIIII !!!(4)Boah...(1)
    • De collègue à collègue, je vous dis merci, je pense que c'est tout à fait vrai,les adolescents en lycée professionnel réagissent aussi intuitivement, mais parfois la reflexion déstabilise le professeur

      HIIIIIIIIIIIII !!!(2)Boah...(1)
    • Bonjour,

      C'est avec des analyses fouillées, sensibles, intelligentes comme les vôtres qu'on pourrait enfin construire et commencer à améliorer les choses et pas sur des commentaires à l'emporte pièce comme on en entend si souvent. Bien sûr qu'il faut plus d'éducateurs, de psychologues, d'assistantes sociales, de professeurs mieux payés....et peut-être aussi de programmes moins inadaptés à la situation.
      Je suis membre d'une association de parents d'élèves en banlieue parisienne. Nous essayons à notre petit niveau de donner de la fierté pour qu'il y ait de l'envie d'apprendre. On constate qu'on peut, en travaillant en coopération avec les proviseurs, les professeurs qui ont envie de le faire, faire un peu avancer les choses...mais c'est long et usant.
      MERCI pour votre témoignage

      HIIIIIIIIIIIII !!!(2)Boah...(1)
  1. Chers collègues,

    Huit jours après le formidable élan qui a conduit des centaines de milliers de personnes dans les rues pour défendre la liberté d’expression, s’indigner contre le terrorisme et l’obscurantisme, s’unir pour aller vers un monde meilleur, je ressens l’intense besoin que toutes ces belles manifestations ne s’éteignent pas.

    En tant qu’enseignante de CE1-CE2, je me sens un rôle à jouer dans l’évolution des mentalités dont la France a besoin. Parce que je suis convaincue que l’essentiel passe par l’éducation mais parce que je ne reconnais pas les concepts qui me sont chers dans les instructions officielles des divers ministères qui défilent à notre tête, pas plus que dans le matraquage médiatique dont l’école est souvent victime, je voudrais faire une autre proposition. Je souhaite tenter de réunir les témoignages de divers enseignants de maternelle, élémentaire, collège et lycée sans oublier bien évidemment le spécialisé, concernant leur réaction et celles de leurs élèves à la suite des attentats à Charlie hebdo. J’aimerais que ceux qui le souhaitent fassent connaître leurs positions et leurs propositions pour faire évoluer l’école. Je voudrais que le public ne soit pas seulement abreuvé par certains médias, qui n’ont tendance à montrer que ce qui divise (combien de témoignages pour parler d’ados refusant la minute de silence avons-nous déjà lus ?!). Vous êtes avec moi?

    Je ne sais où cette tentative nous conduira, quoiqu’il en soit, j’invite tous ceux qui en ont l’envie à me contacter, à me faire part de leur propre témoignage ou de ceux d’autres collègues sur ma boite mail: celinedumas1@hotmail.com

    Chouyo, j'ai été particulièrement sensible à ton témoignage, j'aimerais vraiment que tu me contactes et j'espère que tu ne m'en voudras pas d'utiliser ton blog pour faire passer mon message.

    Céline.

    HIIIIIIIIIIIII !!!(14)Boah...(5)
    • J'espère que mon appel ne passera pas inaperçu, n'hésitez pas à me contacter et à transférer ma demande à tous les collègues qui pourraient être intéressés...

      J’aimerais que ceux qui le souhaitent fassent connaître leurs positions et leurs propositions pour faire évoluer l’école. Je voudrais que le public ne soit pas seulement abreuvé par certains médias, qui n’ont tendance à montrer que ce qui divise (combien de témoignages pour parler d’ados refusant la minute de silence avons-nous déjà lus ?!). Vous êtes avec moi?

      HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)
    • Je suis en accord avec vous, entre ethno-psychanalyse et socio vous inclué directement les fondamentaux intellectuels et d'expériences de terrain qui devraient avec des événements pareils amener nos politiques à réformer en profondeur notre système éducatif qui part à la dérive.
      Nos enfants nos Ados ne sont que le symptôme de ce que nous sommes, ils expriment avec leurs mots leur sémentique les accompagnements éducatifs qu'ils méritent, au lieu de les stigmatiser voir de les enfermer qui est une véritable faillite d'un pays démocratique comme le notre.
      Nous avons les solutions l'argent qui pourrait les émanciper les faire évoluer, il est URGENT de renouer ce lien social indispensable au respect que nous devons à ses citoyens qui nous représenterons demain.
      J'y crois!

      HIIIIIIIIIIIII !!!(2)Boah...(0)
  2. Merci. Je laisse parler et écoute mes élèves... et je suis heureuse de savoir que je ne suis pas seule.

    HIIIIIIIIIIIII !!!(1)Boah...(0)
  3. Bonjour,
    Merci beaucoup. J'ai lu votre billet en écoutant ... Alain Finkelkraut sur France Info ... C'était assez intéressant de voir sa bétise en comparaison de la pertinence de vos remarques et de votre posture d'ECOUTE, de voir la suffisance et l'absence de compassion qu'il montre en comparaison de vos priorités, de votre quotidien.
    J'ai trouvé (je suis confronté à des 18-20 ans) dans votre explicitation de la question de la disproportion (notamment mais pas seulement) un point de vue auquel je n'avais pas encore pensé, je vous en remercie.
    Bonne continuation, avec force, courage, amour et solidarité.

    HIIIIIIIIIIIII !!!(9)Boah...(7)
  4. J'ai l'impression que les propos rapportés ne sont dit que par des garçons. Est-ce vrai ? Que disent les filles ?

    HIIIIIIIIIIIII !!!(5)Boah...(0)
  5. WOUHAAAAAAAAAAAA,qu'est ce qu'il est bon de vous lire, vous, le CORPS ENSEIGNANT, quelques fois...
    Au nom du citoyen anonyme : MERCI !!! Mais surtout, ne flanchez pas, c'est un marathon, tenez la distance, car au bout, c'est la vérité, il y a l'arrivée, que l'on finisse dernier ou premier.
    De tout cœur avec vous.

    HIIIIIIIIIIIII !!!(9)Boah...(0)
  6. Bravo vous etes une vraie prof, vous faites vraiment le métier de prof c'est à dire vulgariser, expliquer patiemment, apprendre à raisonner, à analyser... C'est formidable ce que vous faites, et je veux croire qu'il en restera quelque chose chez ceux qui ont la chance d'être vos élèves en cette période. Je trouve particulièrement pertinent que vous leur ayez expliqué que les règles d'une religion sont faites pour les croyants et que les autres n'ont pas à s'imposer de les suivre, que les lois humaines sont au dessus des lois divines en tout cas en France, que le sacré est quelque chose de personnel etc. C'est fou que l'on doive expliquer cela, ca paraissait si évident! (pour nous adultes comme vous dites; et même si je ne suis pas athée cela paraît tout de même évident pour moi) Et pourtant c'est le coeur du problème en ce moment, le fait que tant de gens se sentent personnellement visés et offensés dans leurs croyances parce que les autres ne sont tout simplement pas obligés de s'appliquer à eux mêmes les règles que les croyants tiennent pour sacrées. Je n'entends personne parler de cela, en revanche en ce moment on oppose à tout va la liberté d'expression et le respect, opposition stérile et qui selon moi passe à côté de la plaque. Il n'y a qu'un grand rabbin dont j'ai oublié le nom qui a tapé dans le mille en déclarant récemment "si quelque chose est blasphématoire pour moi, je ne le regarde pas". Effectivement, peut etre faudrait il rappeler qu'on n'oblige personne à acheter charlie hebdo ou toute autre publication; de la même facon, peut etre faudrait il expliquer à ceux qui protestent contre la France à l'étranger que Charlie Hebdo n'est pas "la france", qu'il n'était qu'un journal (marginal en plus) que personne n'était obligé d'acheter, et avec lequel personne n'est obligé d'être d'accord. J'ai l'impression que le slogan "je suis charlie" repris par des millions de personnes n'a pas contribué à clarifier les choses; je me trompe peut etre. J'ai vu l'autre jour sur twitter quelqu'un râler "ah ils disent liberté d'expression, ben voilà !" accompagné d'un dessin représentant un chien urinant sur un exemplaire de Charlie Hebdo. j'ai eu envie de rire, parce que c'était assez comique qu'il croie ainsi "offenser" charlie hebdo ou ses lecteurs, et en même temps j'étais très triste, en me disant bon sang, si seulement ces malades avaient répondu par d'autres caricatures, on n'en serait pas là... On assiste à une confrontation entre deux modes de pensée totalement différents et les malentendus sont énormes. il n'y a que l'explication patiente , l'éducation, comme vous le faites si bien, qui fera avancer le schmilblick, comme disait coluche... Mais pour une enseignante comme vous, combien auront répondu simplement par la sanction ou la réprimande, contribuant ainsi à renforcer le problème..

    HIIIIIIIIIIIII !!!(9)Boah...(1)
  7. merci et bravo,
    c'était important que ce billet existe, il fait du bien à beaucoup de monde et il ouvre bien des pistes à celles et ceux qui se sentaient démunis face à la situation

    encore mille merci

    HIIIIIIIIIIIII !!!(3)Boah...(0)
  8. chère collègue, je suis à 100% avec vos réflexions, ayant essayer la même démarche avec mes collégiens de Seine et Marne! effectivement, la marche doit continuer et pas seulement par l'école comme le laisse entendre les médias...

    HIIIIIIIIIIIII !!!(3)Boah...(1)
  9. En tant que professeur de pédagogie en Belgique, je vous félicite sincèrement de raconter la réalité de la responsabilité de ce métier d'enseignant surtout au collège/lycée, la difficulté de réagir à ce que certains nomment des "provocations" mais aussi le très beau défi de leur permettre de grandir, de réfléchir, d'acquérir de l'esprit (un peu plus critique) afin d'en faire des citoyens de demain un peu plus éclairés...

    HIIIIIIIIIIIII !!!(5)Boah...(1)
  10. Bonjour, je suis contactée par LCI pour réagir aux "voeux du président" demain après-midi et j'aimerais tellement que quelqu'un de plus doué que moi pour les mots puisse s'exprimer sur une onde relativement grand public... C'est une interview de 12min juste avant l'intervention officielle du président et il faut absolument y être : il serait sur le point de demander aux élèves de chanter la marseillaise tous les matins dans les collèges! Si vous êtes disponibles, S'IL VOUS PLAIT contactez-moi par mail pour y aller à ma place demain.
    Et merci encore
    Marguerite

    HIIIIIIIIIIIII !!!(1)Boah...(6)
  11. Nous recueillons la parole de "vigies" de la République, des gens qui, dans les différentes institutions où ils travaillent, défendent ses valeurs à l'occasion des contestations qui ont surgi après les attentats de Charlie Hebdo et du supermarché casher de la Porte de Vincennes.
    Puis-je vous appeler pour faire un "verbatim" d'un professeur dans sa classe? Mais il faudrait que l'entretien ne soit pas anonyme...
    Dites-moi.
    Merci
    Caroline Brizard

    HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(1)
    • bonjour
      Avez-vous mis en place ce verbatim ? Peut on y accéder ?
      En tant que parents d'élèves de lycée et collège nous serions intéressés pour structurer nos questions et réflexions.
      Merci de votre réponse en privé
      bonne journée
      Jjacques

      HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)
  12. Merci,
    Merci pour l'école, pour les enfants, pour les cultures. Merci pour la pédagogie en action...

    HIIIIIIIIIIIII !!!(7)Boah...(3)
  13. Merci pour cette réflexion REMARQUABLE , je suis remplie d'admiration et de gratitude car je suis aussi prof et comme vous je n'ai pas voulu me servir directement des outils pédagogiques proposés par la hierarchie, votre analyse des réactions et du ressenti des élèves est tellement fine et me semble tellement juste ! Vous avez clarifié mes pensées et cela va beaucoup m'aider dans le dialogue avec mes classes. Vous faites preuve d'une grande empathie envers les ados.
    Je vais imprimer votre article et le transmettre au plus grand nombre autour de moi.✏️ Très cordialement.

    HIIIIIIIIIIIII !!!(17)Boah...(6)
  14. Bonjour,
    merci pour ce qui est pour moi, jeune prof d'histoire-géo, une leçon de pédagogie.
    je vais essayer d'introduire cette démarche d'écoute/déconstruction/ reconstruction d'un discours.
    Mais avec des élèves bien différents, à l'opposée serait-on tenté de dire, mais souffrant de même symptômes d'exclusion et de "vide" culturel; d'autres oubliés de la république: les enfants de paysans.
    En effet j'interviens dans un lycée agricole.
    Aucun maghrébin en vue (alors que dans les rues du village voisin errent de nombreux chibanis) plutôt une cohorte d'élèves, qui dans un même élan de provocation adolescente mâtiné d'influences familiales mal digérées, nous disent: le front national vite.
    Je m'arrête là, ma courte expérience ne me permettant d'apporter une connaissance et une analyse de la situation aussi fine que la votre.
    Mais juste pour signaler que la communauté éducative du monde rural fait face à une situation non moins problématique que celle que l'on rencontre dans les périphéries urbaines.
    Cordialement
    Nicolas Bordes
    enseignant contractuel

    HIIIIIIIIIIIII !!!(11)Boah...(3)
    • http://youtu.be/Nf7r2c1vs6U

      et aussi

      http://youtu.be/3RWyuwQzXLs

      Merci à vous toutes et vous tous d'écouter plutôt que dicter...
      La marche républicaine commence en effet aujourd'hui et nul doute que le prochain Charlie Hebdo pointera un certain nombre de "JE SUIS CHARLIE"immortalisés lors d'une marche qui marquera à jamais un "avant" et un "après"...

      Gilles Porte (cinéaste) qui a eu le privilège de faire dessiner sur une vitre CHARB, CABU, TIGNOUS, WOLINSKI (cf Clip TRYO) et beaucoup d'autres dont plus de 4000 enfants dans 41 pays...

      HIIIIIIIIIIIII !!!(5)Boah...(0)
  15. je ne suis pas enseignante mais j'ai lu avec attention votre lettre
    et je suis très heureuse de voir votre intelligence en action : écouter les enfants qui sont en construction et les laisser parler plutot que leur assener le Savoir , la Laicité du haut de notre monde d'adultes et les faire progresser doucement de la réaction à la reflexion
    bravo

    HIIIIIIIIIIIII !!!(6)Boah...(0)
  16. Wawwww
    Excellent article, bravo ... vraiment : simple et précis, très éclairant.
    Bravo !
    Et franchement, j'aurais tellement aimé avoir un(e) prof dans ce style-là...
    ++

    HIIIIIIIIIIIII !!!(4)Boah...(0)
  17. Bonjour,
    Je veux vous remercier pour ces paroles que je relierai souvent, pour ne pas oublier ces mots qui viennent de me changer

    HIIIIIIIIIIIII !!!(2)Boah...(0)
  18. Bonjour

    Bravo. Super témoignage, analyse pertinente et... qui viens du terrain...!!! C'est un des point de vue sur ce qu'il s'est passé ces derniers jours les plus intelligent que j'ai pu lire. Je me suis permis de partager le lien de votre texte sur mon FB en conseillant à mes amis profs.
    Bonne continuation. Bien à vous.

    HIIIIIIIIIIIII !!!(3)Boah...(0)
  19. Bravo ! Vous faites honneur à ce beau métier d'enseignant que j'ai exercé pendant près de 40 ans en lycée professionnel, en collège et pour terminer à l'université.

    HIIIIIIIIIIIII !!!(2)Boah...(2)
  20. pour poursuivre la réflexion, et éviter l'écueil de l'injonction à penser dans un sens ou un autre, lorsqu'on s'attèle à ouvrir un espace de parole, comme il nous est demandé :

    http://lmsi.net/Des-questionnements-insupportables

    HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)
  21. […] François Dubet, à propos de la relation entre les profs et les élèves « qui ne sont pas Charlie » : rue89.nouvelobs.com/2015/01/13/jenesuispascharlie-les-profs-savent-comment-reagir-257067?utm_source=outbrain&utm_medium=widget&utm_campaign=obclick&obref=obinsource Un professeur raconte ses discussions avec les élèves : http://www.chouyosworld.com/2015/01/14/mes-eleves-un-drame-et-des-mots/ […]

    HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)
  22. Jean Francois Chemain a parcouru le même chemin ds son livre "Kiffe la France".C'est un chemin difficile et que le ministère ne suit pas.Bloque ds une idéologie passéiste et musele

    par ses syndicats.Pourtant BCp on compris l'enjeu à lire vos réactions.

    HIIIIIIIIIIIII !!!(1)Boah...(1)
  23. Enfin! Enfin une réflexion qui a de la consistance et de l'ouverture, sur le thème de l'éducation en France dans cette époque qui ballotte l'enfance sans suffisamment de conscience, et, en créant trop de violence. Oui les évènements autour de Charlie, remettent sérieusement en question l'éducation, les questions d'égalité, la communication, et les moyens attribués pour éduquer ceux qui sont là au présent en grandissant avec leur sensibilité. Ils plient l'échine sous le poids de nos mots et maux, de nos silences aussi, ("C'est pour ton bien" dirait Alice Muller avec son livre), bref, comment peuvent ils se situer dans une société arriérée dans bien des domaines? Ces enfants et adolescents seront la France de demain avec les moyens et les références qu'on leur aura donné pour se construire... Merci beaucoup pour votre réaction via votre article.

    HIIIIIIIIIIIII !!!(2)Boah...(0)
  24. Merci à vous d'avoir si bien dit ce qu'il en est de ces adolescents en quête de compréhension, d'identité, et de ce qui ne leur permet pas - ou permet - d'appréhender ce monde si vaste, si varié où, aujourd'hui, cela ne se conjugue plus sur "ce qui se passe dans mon environnement, dans le pays où je vis", mais au niveau de la planète entière.
    Difficile d'être adolescent donc !
    Les modes de vie sociétale ont tellement changé que je réalise à l'instant que j'ai eu une adolescence où ce champ de vision n'était pas aussi vaste. Et pourtant, déjà, nous étions en grand questionnement et réaction.
    Alors je me dis que nous, adultes, devons apprendre d'eux pour les comprendre et les accompagner. Non les aider. Juste leur ouvrir des portes. Voilà comment pour ma part, je conçois le travail d'éduquer.
    Oui, je suis parfaitement d'accord, il est indispensable qu'il y ait une vraie mise en place de travailleurs sociaux, éducatifs, animateurs, mais aussi qu'eux-mêmes soient formés à cette approche. Nous avons tous appris un certain mode, d'abord en tant qu'élèves, où le professeur est celui qui détient, distribue le savoir, et vérifie s'il est appris. Cela doit changer. Puis en tant qu'adulte, à travers un fonctionnement dans le cadre professionnel qui est la continuité de l'apprentissage scolaire.
    J'ai lu votre texte avec bonheur. Je me dis aussi qu'il est urgent que des gens comme vous apportent une réflexion en contre-point au vouloir du gouvernement - et de beaucoup trop d'adultes - de pénaliser ces jeunes qui ont réagi à leur manière à l'attentat de Charlie-Hebdo et autres actes. Et qui réagissent de manière "dérangeante" sur d'autres sujets. Pénaliser en évitant de chercher à comprendre. C'est faire l'autruche vis à vis des causes de souffrance, de blessure d'identité, de toute une partie de la population. Et préférer ne pas y remédier.

    HIIIIIIIIIIIII !!!(4)Boah...(0)
  25. Je vous écris parce que je pense que les articles d'alice miller sur l'enfance peuvent vous intéresser:

    Qui sont les tueurs ?
    http://alice-miller.com/courrier_fr.php?lang=fr&nid=3009&grp=0115

    Pourquoi interdire les punitions corporelles et les autres violences éducatives au sein de la famille est une priorité humaine et de santé publique ?
    http://alice-miller.com/articles_fr.php

    Autres textes traduits d'alice miller:
    http://alice-miller.blogspot.fr/

    "La Maltraitance, l'Abus de l'Enfant
    C'est quoi?

    Les humiliations, les coups, les gifles, la tromperie, l'exploitation sexuelle, la moquerie, la négligence etc. sont des formes de maltraitances parce qu'ils blessent l'intégrité et la dignité de l'enfant, même si les effets ne sont pas visibles de suite. C'est à l'âge adulte que l'enfant maltraité jadis commencera à en souffrir et en faire souffrir les autres. Il ne s'agit pas là d'un problème de la famille uniquement, mais de toute la société parce que les victimes de cette dynamique de violence, transformées en bourreaux, se vengent sur des nations entières, comme le montrent les génocides de plus en plus fréquents sous des dictatures atroces comme celle de Hitler. Les enfants battus apprennent très tôt la violence qu'ils utiliseront adultes en croyant à ce qu'on leur a dit : qu'ils ont mérité les punitions et qu'ils étaient battus « par amour ». Ils ne savent pas qu'en vérité la seule raison des punitions qu'ils ont subies était due au fait que leurs parents ont subi et appris la violence très tôt sans la remettre en cause. A leur tour ils battent leurs enfants sans penser leur faire du mal.

    C'est comme ça que l'ignorance de la société reste si solide et que les parents continuent en toute bonne foi à produire le mal dans chaque génération depuis des millénaires. Presque tous les enfants reçoivent des coups quand ils commencent à marcher et toucher les objets qui ne doivent pas être touchés. Cela se passe exactement à l'age quand le cerveau humain se structure (entre 0 et 3 ans). Là, l'enfant doit apprendre de ses modèles la gentillesse et l'amour mais jamais, en aucun cas, la violence et les mensonges (comme: « je te bas pour ton bien et par amour »). Heureusement, il y en a des enfants maltraités qui recoivent l'amour et la protection chez les "témoins sécourables" dans leur entourage."

    HIIIIIIIIIIIII !!!(2)Boah...(0)
  26. Bonjour Chouyo,
    Je suis une élève de seconde et tout ce que vous avez raconté m'a vraiment inspiré. Je trouve votre manière d'aborder le sujet avec vos élèves pertinente et intéressante. Dans mon lycée aussi on en a parlé. Le différence c'est que je fréquente une école privée et donc les élèves viennent en général d'un milieu plutôt aisé où on nous a toujours appris que la violence ne menait à rien, du coup on était tous d'accord sur le fait que ces attentats n'étaient que pure barbarie. Je pense que c'était donc bien plus facile pour nos profs d'en parler. Mais dans tous les cas il y avait toujours polémique sur les dessins de Charlie Hebdo. "Représenter Mahomet ça se fait pas", "C'est pas parce qu'ils insultent tout le monde également qu'ils ont le droit de le faire", "Pourquoi contre la religion?" etc etc... Personnellement, je trouvais déjà important de préciser à nouveau que ces dessins étaient des caricatures, et donc par définition n'avaient aucune vocation à représenter les choses telles qu'elles étaient réellement, mais au contraire faire exprès de montrer une exagération ridicule d'un concept ou d'une personne pour en montrer les défauts sur un ton léger dans le but de faire réfléchir. Bizarrement, cela ne semblait pas évident pour tout le monde. Alors oui, c'était très provocateur, mais c'était justement pour encore mieux marquer les esprits.
    Charlie Hebdo s'oppose en général aux religions (et n'importe lesquelles) car selon eux toutes sont corrompues par des gens qui s'en serve de prétexte pour obtenir un certain pouvoir, manipuler les gens pour leur unique compte. Et il faut avouer que c'est le cas, chaque religion a des éléments perturbateurs qui propagent la haine, la violence et la peur dans le monde, bafouant le but initial de la religion, à savoir la paix et la spiritualité. Je ne pense pas non plus qu'il faut tout bonnement interdire la religion à cause de ces éléments perturbateurs (qui, s'ils font plus de bruit, ne représentent certainement pas la majorité), seulement il est absolument nécessaire de prendre avec sérieux ceux qui abusent de ces religions. Bref, je m'égare...
    Ici aussi il y a des questions de "Pourquoi on parle d'eux et pas de nous", sauf qu'au contraire, dans notre cas c'est la communauté juive qui se sent lésée... "Pourquoi il y a plus de personnes à manifester pour Charlie Hebdo qu'il n'y en a eu pour l'attentat à Toulouse?" Comme quoi, les points de vue sont divers! En tous cas je répondrais à cela par le fait qu'à Toulouse, c'était uniquement la communauté juive qui fut attaquée, donc on éprouve de la compassion tout de même, mais il est normal qu'on se sente un peu moins concerné que quand c'est la Liberté d'Expression qu'on attaque, car cela concerne chaque individu sans exception.
    Enfin voilà, je voulais juste vous faire part de ce que j'en pensais. Encore merci pour ce billet enrichissant, et bonne continuation!

    HIIIIIIIIIIIII !!!(8)Boah...(2)
  27. Madame,

    J'aurais aimé être prof, après mes 5 ans d'histoire à la Sorbonne et ma spécialisation sur l'histoire contemporaine des sociétés arabes mais il aurait fallu que je bachote beaucoup pour obtenir le CAPES, et surtout j'aurais eu du mal à me taper ces programmes franco-français, occidentalo-centrés. Non, je n'avais pas envie, et à vous lire je ne regrette pas mon choix.

    Mais heureusement, des profs comme vous existent ! Des profs qui connaissent le poids du vécu dans les réactions qu'on dit sur-proportionnées de ces ados, des profs qui savent écouter, analyser et remettre en cause leur propre système !

    Merci donc ! Merci du fond du coeur !

    Florence

    HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)
  28. bonjour,

    j'ai lu votre témoignage avec un grand intérêt, un grand soulagement, un grand bonheur! Je ne croyais plus que des profs comme vous pouvaient encore exister! Le parcours scolaire de mes enfants en Belgique a été fréquemment empoisonné par des profs inintéressants et inintéressés, sans aucune psychologie ni pédagogie, voire même de simple bon sens! Heureusement, vous me prouvez que cette race n'a pas tout à fait disparu! On sent un réel intérêt pour les ados, si touchants dans leur recherche de repères...
    Une maman

    HIIIIIIIIIIIII !!!(1)Boah...(0)
  29. Merci pour cette réflexion, pour votre ouverture d'esprit. Ce dialogue avec vos élèves est magnifique. Un témoignage très beau et tellement plein de vie. J'ai partagé le lien! Pourvu que beaucoup de gens le lisent, se posent les bonnes questions et agissent! On doit agir, chacun à son niveau!

    HIIIIIIIIIIIII !!!(1)Boah...(0)
  30. Au delà de l'intérêt du propos, quelque chose me gêne: Je ressens un apriori qui ne souffre aucune contestation: caricature=liberté d'expression. Quand la caricature blesse, est-il légitime de continuer, en refusant de tenir compte de la sensibilité des personnes, quelles qu'elles soient?
    Et, pour en revenir aux élèves: parce qu'ils sont ados, en quoi ce qu'ils ressentent est-il à éduquer?
    Débattre, discuter, s'exprimer et s'écouter, oui, bien sûr, et c'est ce qui fait qu'on développe son humanité.
    Mais il me semble qu'il ne s'agit pas d'avoir tort ou raison: ce que l'événement transforme en nous est à partager, pour avancer, ensemble...

    Je vous copie colle un article paru en décembre 2013:

    « CHARLIE HEBDO », PAS RACISTE ? SI VOUS LE DITES…
    Il y a travaillé de 1992 à 2001, avant de claquer la porte, échaudé par « la conduite despotique et l’affairisme ascensionnel » d’un certain Philippe Val. Depuis, Olivier Cyran observe de loin, hors les murs, l’évolution de Charlie Hebdo et sa grandissante obsession pour l’islam. Il revient sur cette longue dérive à l’occasion d’une tribune récemment publiée dans Le Monde, signée Charb et Fabrice Nicolino.

    Post-scriptum 11 janvier 2015 : à tous ceux qui estiment que cet article serait une validation a priori de l’attaque terroriste ignoble contre Charlie hebdo (ils l’auraient bien cherché), la rédaction d’Article11 adresse un vigoureux bras d’honneur. Charognards ! Pour que les choses soient bien claires, il y a ce texte. http://www.article11.info/?Aux-fossoyeurs-de-tous-bords#pagination_page

    *

    Cher Charb, cher Fabrice Nicolino,

    « Et que ceux qui prétendent et prétendront demain que “Charlie” est raciste aient au moins le courage de le dire à voix haute, et sous leur nom. Nous saurons quoi leur répondre. » En lisant cette rodomontade à la fin de votre tribune dans Le Monde1, façon « viens nous le dire en face si t’es un homme », j’ai senti monter comme une envie de rejoindre mon poste de combat dans la cour de récré. La sommation ne m’était pourtant pas destinée. Quelles bonnes âmes vous espérez convaincre, d’ailleurs, mystère. Cela fait belle lurette que quantité de gens disent à « voix haute » et « sous leur nom » ce qu’ils pensent de votre journal et du fonds de sauce qui s’en écoule, sans que personne chez vous ne se soit soucié de leur répondre ou d’agiter ses petits poings.

    Ainsi donc Le Monde vous a charitablement ouvert son rayon blanchisserie, pour un repassage express de votre honneur tout chiffonné. À vous entendre, il y avait urgence : même plus moyen de sortir dans Paris sans qu’un chauffeur de taxi vous traite de racistes et vous abandonne les bras ballants sur le bord du trottoir. On comprend la vexation, mais pourquoi ce besoin d’aller vous refaire une beauté dans un autre journal que le vôtre ?Charlie Hebdo, son site internet et sa maison d’édition ne vous offrent donc pas un espace d’expression à la hauteur ? Vous invoquez le glorieux héritage du « Charlie » des années 1960 et 70, quand c’était la censure du pouvoir politique et non la hantise du discrédit qui donnait du fil à retordre au journal. Mais je doute qu’à l’époque un Cavanna ou un Choron eussent quémandé l’aide de la presse en redingote pour se façonner une respectabilité.

    S’il m’est arrivé à moi aussi, par le passé, de griffonner quelques lignes fumasses en réaction à tel ou tel de vos exploits, je ne me suis jamais appesanti sur le sujet. Sans doute n’avais-je ni la patience ni le cœur assez bien accroché pour suivre semaine après semaine la navrante mutation qui s’est opérée dans votre équipe après le tournant du 11 septembre 2001. Je ne faisais déjà plus partie de Charlie Hebdo quand les avions suicide ont percuté votre ligne éditoriale, mais la névrose islamophobe qui s’est peu à peu emparée de vos pages à compter de ce jour-là m’affectait personnellement, car elle salopait le souvenir des bons moments que j’avais passés dans ce journal au cours des années 1990. Le rire dévastateur du « Charlie » que j’avais aimé sonnait désormais à mes oreilles comme le rire de l’imbécile heureux qui se déboutonne au comptoir du commerce, ou du cochon qui se roule dans sa merde. Pour autant je n’ai jamais qualifié votre journal de raciste. Mais puisque aujourd’hui vous proclamez haut et fort votre antiracisme inoxydable et sans reproches, le moment est peut-être venu de considérer sérieusement la question.

    Raciste, Charlie Hebdo ne l’était assurément pas du temps où j’y ai travaillé. En tout cas, l’idée qu’un jour le canard s’exposerait à pareil soupçon ne m’a jamais effleuré. Il y a avait bien quelques franchouillardises et les éditos de Philippe Val, sujets à une fixette inquiétante et s’aggravant au fil des ans sur le « monde arabo-musulman », considéré comme un océan de barbarie menaçant de submerger à tout instant cet îlot de haute culture et de raffinement démocratique qu’était pour lui Israël. Mais les délires du taulier restaient confinés à sa page 3 et ne débordaient que rarement sur le cœur du journal qui, dans ces années-là, me semblait-il, battait d’un sang plutôt bien oxygéné.

    À peine avais-je pris mes cliques et mes claques, lassé par la conduite despotique et l’affairisme ascensionnel du patron, que les tours jumelles s’effondrèrent et que Caroline Fourest débarqua dans votre rédaction. Cette double catastrophe mit en branle un processus de reformatage idéologique qui allait faire fuir vos anciens lecteurs et vous en attirer d’autres, plus propres sur eux, et plus sensibles à la « war on terror » version Rires & Chansons qu’à l’anarchie douce d’un Gébé. Petit à petit, la dénonciation en vrac des « barbus », des femmes voilées et de leurs complices imaginaires s’imposa comme un axe central de votre production journalistique et satirique. Des « enquêtes » se mirent à fleurir qui accréditaient les rumeurs les plus extravagantes, comme la prétendue infiltration de la Ligue des droits de l’homme (LDH) ou du Forum social européen (FSE) par une horde de salafistes assoiffés de sang2. Le nouveau tropisme en vigueur imposa d’abjurer le tempérament indocile qui structurait le journal jusqu’alors et de nouer des alliances avec les figures les plus corrompues de la jet-set intellectuelle, telles que Bernard-Henri Lévy ou Antoine Sfeir, cosignataires dans Charlie Hebdo d’un guignolesque « Manifeste des douze contre le nouveau totalitarisme islamique3 ». Quiconque ne se reconnaissait pas dans une lecture du monde opposant les civilisés (européens) aux obscurantistes (musulmans) se voyait illico presto renvoyé dans les cordes des « idiots utiles » ou des « islamo-gauchistes ».

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    À Charlie Hebdo, il a toujours été de bon ton de railler les « gros cons » qui aiment le foot et regardent TF1. Pente glissante. La conviction d’être d’une essence supérieure, habilitée à regarder de très haut le commun des mortels, constitue le plus sûr moyen de saboter ses propres défenses intellectuelles et de les laisser bailler au moindre courant d’air. Les vôtres, pourtant arrimées à une bonne éducation, à des revenus confortables et à l’entre-soi gratifiant de la « bande à Charlie », ont dégringolé à une vitesse ahurissante. Je me souviens de cette pleine page de Caroline Fourest parue le 11 juin 2008. Elle y racontait son amicale rencontre avec le dessinateur néerlandais Gregorius Nekschot, qui s’était attiré quelques ennuis pour avoir représenté ses concitoyens musulmans sous un jour particulièrement drolatique. Qu’on en juge : un imam habillé en Père Noël en train d’enculer une chèvre, avec pour légende : « Il faut savoir partager les traditions ». Ou un Arabe affalé sur un pouf et perdu dans ses pensées : « Le Coran ne dit pas s’il faut faire quelque chose pour avoir trente ans de chômage et d’allocs ». Ou encore ce « monument à l’esclavage du contribuable autochtone blanc » : un Néerlandais, chaînes au pied, portant sur son dos un Noir, bras croisés et tétine à la bouche. Racisme fétide ? Allons donc, liberté d’expression ! Certes, concède Fourest, l’humour un peu corsé de son ami « ne voyage pas toujours bien », mais il doit être compris « dans un contexte néerlandais ultratolérant, voire angélique, envers l’intégrisme ». La faute à qui si les musulmans prêtent le flanc à des gags difficilement exportables ? Aux musulmans eux-mêmes et à leurs alliés trop angéliques, ça va de soi. Comme l’enseigne Nekschot aux lecteurs de Charlie Hebdo, « les musulmans doivent comprendre que l’humour fait partie de nos traditions depuis des siècles ».

    Personne chez vous n’a claqué sa démission après cette page insuffisamment remarquée, qui après tout ne faisait que consacrer le processus entamé six ou sept ans plus tôt. Vos sortes de tolérances vous regardent. Mais quand je lis dans votre tribune du Monde : « Nous avons presque honte de rappeler que l’antiracisme et la passion de l’égalité entre tous les humains sont et resteront le pacte fondateur de Charlie Hebdo », la seule information que je retiens, c’est que votre équipe ne serait donc pas totalement inaccessible à la honte. Vraiment ?

    Après le départ en 2009 de Val et de Fourest, appelés à de plus hautes destinées, l’un à la tête d’une radio publique, l’autre sur les podiums de l’antiracisme gouvernemental, on se demandait si vous continueriez à faire du Val sans lui et de la Fourest sans elle. Le moins que l’on puisse dire, c’est que vous êtes restés fidèles à la ligne. Imprégnés jusqu’au trognon, faut croire.

    Aujourd’hui, les mouches qu’un Tignous n’omet jamais de faire tourner autour de la tête de ses « barbus » se collent plus que jamais à votre imaginaire dès que vous « riez » des musulmans. Dans une vidéo postée fin 2011 sur le site de Charlie Hebdo, on te voyait, Charb, imiter l’appel du muezzin sous les hoquets hilares de tes petits camarades. Tordant, le numéro de la psalmodie coranique à l’heure du bouclage, Michel Leeb n’aurait pas fait mieux. Dans quelle marinade collective faut-il macérer pour en arriver là ? Dans quelles crevasses psychologiques puisez-vous matière à « rire » d’un dessin représentant des femmes voilées qui exhibent leurs fesses pendant qu’elles font leur prière à la « mère Mecquerelle » ? Minable vanne même pas honteuse, embarrassante d’imbécilité avant même que d’être révélatrice d’un état d’esprit, d’une vision du monde.

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    C’est ce dessin de Catherine qui me vient à l’esprit, mais je pourrais en citer tant d’autres parmi les épanchements de gaudriole islamophobe que vous autres, fabricants d’humour gonflé aux vents du temps, dégazez à longueur de semaines. Ce dessin-là accompagnait une pseudo-enquête sur les « djihadistes du sexe » en Syrie4. Un « scoop » dont on apprenait peu de temps après – il est vrai qu’on s’en doutait un peu à la lecture – que c’était un tissu d’âneries bidonné à des fins de propagande5. À noter que vous n’avez même pas retiré cette daube de votre site web : apparemment, certains sujets se prêtent mieux que d’autres au relâchement. Quand on rigole avec la femme voilée, on peut bien se laisser aller, s’autoriser un peu de confusion entre info croustillante en papier mâché et poilade de salle de garde.

    Mais je ne vous écris pas pour vous parler de bon goût, plutôt de ce pays que vous avez contribué à rendre plus insalubre. Un pays qui désormais interdit à une femme de travailler dans une crèche au motif que le bout de tissu qu’elle porte sur la tête traumatiserait les bambins. Où une élève de troisième coiffée d’un bandana jugé trop large se fait exclure de son collège avec la bénédiction d’un maire UMP, du ministre socialiste de l’Éducation nationale et de la presse écumante6. Où l’on peine à trouver un comptoir de bistrot ou une table de fins lettrés sans qu’à un moment ne se déverse le genre de blagues qui, à « Charlie », vous font péter les boyaux le jour du bouclage. Où l’on considère comme une avant-garde de la cinquième colonne toute femme qui se couvre les cheveux, au point qu’on lui interdit de participer à une sortie scolaire ou de faire du bénévolat aux Restos du cœur7.

    Je sais qu’à vos yeux ces vigoureuses dispositions sont cruciales pour la survie de la république et de la laïcité. Récemment, vous avez jugé utile de publier une interview de votre avocat, Richard Malka, le valeureux défenseur de Clearstream, de DSK et de l’esprit des Lumières. « Le voile, c’est l’anéantissement, l’ensevelissement du triptyque républicain “Liberté, Égalité, Fraternité”8 », pérorait votre bavard comme à un concours d’éloquence pour vendeurs d’aspirateurs9. Faudrait déjà qu’il nous explique en quoi ce fameux triptyque a une existence concrète et au bénéfice de qui, mais passons. Ce qu’il enfonce dans la tête de vos lecteurs, pourtant déjà abondamment instruits en la matière, c’est que quelques centimètres carrés de coton éventuellement mêlé de polyester menacent de répandre la peste sur notre beau pays. Que ce voile est si dangereusement infecté qu’il ne serait pas sage de prêter attention à l’individu qui le porte.

    Je dois préciser à ce stade que, personnellement, je n’ai aucun « problème » avec le bonnet de ma tante ou les dreadlocks de mon cousin, et que je n’en ai pas davantage avec le voile de ma voisine. Si cette dernière me confiait qu’elle le porte contre son gré, j’aurais certainement le réflexe de l’encourager à trouver les moyens de vivre comme elle l’entend. Je réagirais de même si on l’obligeait à porter des bas résille ou le kilt écossais. En dehors d’un tel scénario, qu’une femme décide ou non de porter telle ou telle liquette ne me regarde pas. Que ce soit pour des motifs personnels, religieux, esthétiques ou autres, c’est son affaire. Étonnante, cette manie qu’ont les gens dans ce pays de projeter leurs fantasmes sur un carré d’étoffe, qui l’aliénation de la femme, qui la peur de l’invasion islamique, qui la défense du droit masculin à la drague capillaire, etc. Peu m’importent le voile, les talons hauts ou même le t-shirt Camaïeu made in Bangladesh, du moment que la personne dessous, dessus ou dedans mérite le respect. Où en sommes-nous rendus pour qu’il faille réhabiliter un principe aussi évident ? Essayez-le, vous verrez : c’est le meilleur préventif contre l’ulcère à l’estomac et la sauce blanche dans la tête.

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    Le pilonnage obsessionnel des musulmans auquel votre hebdomadaire se livre depuis une grosse dizaine d’années a des effets tout à fait concrets. Il a puissamment contribué à répandre dans l’opinion « de gauche » l’idée que l’islam est un « problème » majeur de la société française. Que rabaisser les musulmans n’est plus un privilège de l’extrême droite, mais un droit à l’impertinence sanctifié par la laïcité, la république, le « vivre ensemble ». Et même, ne soyons pas pingres sur les alibis, par le droit des femmes – étant largement admis aujourd’hui que l’exclusion d’une gamine voilée relève non d’une discrimination stupide, mais d’un féminisme de bon aloi consistant à s’acharner sur celle que l’on prétend libérer. Drapés dans ces nobles intentions qui flattent leur ignorance et les exonèrent de tout scrupule, voilà que des gens qui nous étaient proches et que l’on croyait sains d’esprit se mettent brusquement à débonder des crétineries racistes. À chacun sa référence : La journée de la jupe, Elisabeth Badinter, Alain Finkielkraut, Caroline Fourest, Pascal Bruckner, Manuel Valls, Marine Le Pen ou combien d’autres, il y en a pour tous les goûts et toutes les « sensibilités ». Mais il est rare que Charlie Hebdo ne soit pas cité à l’appui de la règle d’or qui autorise à dégueuler sur les musulmans. Et comme vos disciples ont bien retenu la leçon, ils ne manquent jamais de se récrier quand on les chope en flag’ : mais enfin, on a bien le droit de se moquer des religions ! Pas d’amalgame entre la critique légitime de l’islam et le racisme anti-arabe !

    C’est évidemment ce même sillon que vous labourez dans votre tribune du Monde. « Passe encore, vous lamentez-vous, que Charlie consacre tant de ses dessins de couverture aux papistes. Mais la religion musulmane, drapeau imposé à d’innombrables peuples de la planète, jusqu’en Indonésie, devrait, elle, être épargnée. Pourquoi diable ? Quel est le rapport, autre qu’idéologique, essentialiste au fond, entre le fait d’être arabe par exemple et l’appartenance à l’islam ? »

    Je veux bien tâcher d’éclairer vos lanternes sur ce point, mais permettez-moi d’abord d’apprécier la vicieuse petite incise dans laquelle vous resservez en loucedé le vieux plat sur l’islam-religion-conquérante qui fait rien qu’à croquer la planète. L’islamisation de l’archipel indonésien a commencé au XIIIe siècle, quand des princes de Sumatra se sont convertis à la religion des marchands perses et indiens qui faisaient bombance dans leurs ports – non sous la contrainte, mais par désir d’intégrer un réseau commercial prospère. Plus tard, au XVIIIe siècle, ce sont les colons hollandais, chrétiens irréprochables, qui se sont arrangés pour imposer l’islam à Java, en vue de soustraire sa population à l’influence séditieuse des Balinais hindouistes. On est loin de l’imagerie du farouche bédouin réduisant à sa merci des peuples exotiques, à laquelle se résume apparemment votre connaissance du monde musulman.

    Mais revenons à la question du « rapport » entre Arabes et musulmans, racisme et islamophobie. La démarcation que vous tracez avec une belle assurance entre les deux catégories est-elle vraiment si claire dans vos esprits ? À lire le début de votre tribune, il est permis d’en douter. L’édifiante anecdote du « chauffeur de taxi arabe », qui refuse de conduire à bon port un collaborateur du journal « au motif de dessins moquant la religion musulmane », révèle à cet égard une certaine confusion. En quoi la qualité d’« arabe » prêtée au chauffeur – qui d’après vous ne saurait donc être simplement français – nous renseigne-t-elle sur l’affront subi par votre infortuné collègue ? Croyez-vous qu’il faille être « arabe » pour froncer le nez devant vos beaufitudes de fin de banquet ? Moi qui ne suis ni arabe ni chauffeur de taxi, pas sûr que je dépannerais votre collaborateur d’un ticket de métro. J’espère néanmoins qu’il aura surmonté son choc des civilisations en se dégotant un chauffeur blanc qui l’accepte sur sa banquette arrière.

    Vous avez raison, arabe et musulman, ce n’est pas la même chose. Mais vous savez quoi ? Musulman et musulman, ce n’est pas pareil non plus. Sachez qu’il y en a de toutes sortes, riches ou pauvres, petits ou grands, sympathiques ou revêches, généreux ou rapiats, désireux d’un monde meilleur, réactionnaires ou même, oui, intégristes. Or, dans Charlie Hebdo, rien ne ressemble davantage à un musulman qu’un autre musulman. Toujours représenté sous les traits d’un faible d’esprit, d’un fanatique, d’un terroriste, d’un assisté. La musulmane ? Toujours une pauvre cloche réductible à son foulard, et qui n’a d’autre fonction sociale que d’émoustiller la libido de vos humoristes.

    Parlant de cela, il y aurait beaucoup à dire sur la composante graveleuse de votre inspiration. L’euphorie avec laquelle Charlie Hebdo a acclamé les militantes topless des Femen suggère que le graillon islamophobe s’agrège parfaitement aux éclaboussures de testostérone. L’ode de Bernard Maris à Amina Sboui, une Femen tunisienne qui avait posé torse nu sur Internet, offre un bon échantillon de la mayonnaise hormonale qui colle à vos pages : « Montre tes seins, Amina, montre ton sexe à tous les crétins barbus habitués des sites pornos, à tous les cochons du désert qui prêchent la morale à domicile et se payent des escorts dans les palaces étrangers, et rêvent de te voir lapidée après t’avoir outragée... Ton corps nu est d’une pureté absolue en face des djellabas et des niqabs répugnants10. » Allo, docteur ?

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    Vous avez le toupet d’accuser vos détracteurs d’« essentialisme », et sans doute les bulbes congestionnés qui vous vénèrent applaudiront-ils l’acrobatie. Mais on n’est pas au cirque. L’essentialisme, vous vous y vautrez chaque semaine ou presque en racialisant le musulman sous les traits d’une créature constamment grotesque ou hideuse. Ce qui définit la vision dominante du « racialisé », « c’est qu’il est tout entier contenu dans ce qui le racialise ; sa culture, sa religion, sa couleur de peau. Il serait comme incapable de s’en sortir, incapable de voir plus loin que son taux de mélanine ou le tissu qu’il porte sur la tête, observe sur son blog Valérie CG, une féministe pas très intéressante puisqu’elle ne vous a pas montré ses seins. Musulman devient une sorte de nouvelle couleur de peau dont il est impossible de se détacher11. »

    Cette remarque judicieuse se rapportait aux élucubrations de la « pédopsychiatre » Caroline Eliacheff, qui, dans le magazine Elle, venait de justifier ainsi le licenciement d’une puéricultrice voilée par la crèche Baby-Loup : « On peut s’interroger sur les conséquences pour un nourrisson de ne voir que le visage de face, une tête amputée des oreilles, des cheveux et du cou12. » Le voile est une arme de destruction massive, il ensevelit la république aussi sûrement qu’il ampute des organes vitaux. Inutile de préciser que Caroline Eliacheff, tout comme vous, « lutte contre le racisme », c’est en tout cas ce qu’elle déclare dans son interview. Pour professer des inepties, et justifier le renvoi brutal d’une employée reconnue comme compétente et que personne n’a vu appeler les petits chéris au djihad, on n’est jamais aussi confortablement juché qu’au plus haut sommet des vertus civilisées.

    Mais votre trône surplombe un marécage. Toi, Charb, pour lequel j’ai jadis éprouvé de l’estime, et toi, Fabrice, dont j’appréciais la rigueur intellectuelle13, je vous tiens, vous et vos collègues, pour coresponsables du pourrissement ambiant. Après le 11-Septembre,Charlie Hebdo a été parmi les premiers, dans la presse dite de gauche, à enfourcher le cheval du péril islamique. Ne vous privez donc pas de ramasser votre part du crottin au moment où le nombre d’actes islamophobes bat des records : + 11,3 % sur les neuf premiers mois de 2013 par rapport à la même période de 2012, selon l’Observatoire national de l’islamophobie. Lequel s’inquiète d’un « nouveau phénomène » de violence, marqué par au moins quatorze agressions de femmes voilées depuis le début de l’année.

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    Rassurez-vous, je ne dis pas que la lecture de Charlie Hebdo déclenche mécaniquement l’envie de badigeonner une mosquée avec du sang de porc ou d’arracher son voile à une cliente de supermarché, comme cela se produit ici et là. Vous avez désigné les cibles, mais vous ne voulez pas qu’un pauvre type s’attaque à elles pour de vrai, car vous êtes contre la violence et contre le racisme. Vos lecteurs aussi, très certainement. Ils n’ont aucun préjugé contre les musulmans, c’est juste qu’ils s’esclaffent de bon cœur sur ce dessin de Charb où l’on voit un Arabe à grosse moustache en arrêt devant une prostituée, tandis qu’un prédicateur à barbe le sermonne : « Mon frère ! Tu vas pas payer 40 euros une passe alors que pour le même prix tu peux acheter une épouse ! » Dans les années trente, le même gag avec des juifs à la place des musulmans aurait fait un tabac, sauf qu’à l’époque son auteur n’aurait sans doute pas eu l’idée de venir brandir un brevet d’antiracisme. Le dessin en question illustrait un article démasquant les sombres desseins d’un petit groupe de salafistes à Bruxelles. Le sous-titre résumait bien l’idée : « Les frites seront-elles bientôt toutes halal en Belgique ? Quelques barbus s’y activent, et combattent la démocratie qui leur permet d’exister14. » Quoi ? Islamisation des frites, démocratie en danger ? Dans sa tête, le lecteur commence déjà à graisser son fusil de chasse. Dans sa tête seulement, car c’est un antiraciste. À moins qu’il n’aille se déverser au bas de quelque site internet évoquant vos faits d’armes, à la manière de « lulupipistrelle », auteur de ce commentaire sur Agoravox : « Les caricatures de leur prophète ulcèrent les musulmans ? Et alors, moi j’ai envie de baffer toutes les bonnes femmes voilées que je croise, et je ne parlent [sic] pas des barbus... mais je me domine...15 »

    Bien sûr que Charlie Hebdo ne se limite pas à cela, qu’on y écrit et dessine sur bien d’autres sujets. On veut bien croire que nombre de lecteurs vous achètent par attachement à la cause des animaux, ou pour Cavanna, ou pour Nicolino, ou pour les dessins drôles, ou pour congratuler Bernard Maris après sa nomination au conseil général de la Banque de France, autre repaire de joyeux drilles. Mais je doute qu’il y en ait beaucoup qui ne trouvent leur petit plaisir sale dans le ressassement de vos obsessions islamophobes – sans quoi le journal leur tomberait des mains. Il en est même, vous ne pouvez l’ignorer, qui l’achètent principalement pour ça : pour voir ce que « Charlie » va encore leur mettre dans les dents cette semaine. Faut avouer, c’est une bonne affaire. Depuis l’épisode des caricatures danoises et votre héroïque montée des marches en costumes de pingouins au festival de Cannes, bras dessus bras dessous avec Philippe Val, Daniel Leconte et BHL (mais hélas sans Carla Bruni, pourtant annoncée), le « muslim bashing » ripoliné en « défense intransigeante de la liberté d’expression » est devenu votre tête de gondole, que vous prenez soin de réapprovisionner régulièrement. Vous pouvez toujours certifier que les sans-papiers sont vos amis ou critiquer Manuel Valls pour ses rafles de Roms, c’est l’islamophobie votre marronnier, votre ligne de front.

    Vous me direz que vous n’êtes pas les seuls. Votre positionnement sur ce terrain est en effet assez largement partagé par vos confrères de la presse écrite, de L’Express à Valeurs Actuelles en passant par Le Point, Marianne, Le Nouvel Observateur ou Le Figaro, pour s’en tenir aux plus enthousiastes. Et je ne parle même pas des télés et des radios. Le marché médiatique de l’islam « sans-gêne », « qui fait peur » et « qui dérange » rapporte gros, même s’il est quelque peu saturé. Toutefois, au sein de cette saine et fraternelle concurrence, votre canard parvient à se distinguer par des produits qui n’ont leur équivalent nulle part ailleurs, et qui vous permettent d’occuper un segment non négligeable de l’opinion islamophobe décomplexée de gauche.

    Vous connaissant, je m’interroge cependant : c’est quoi, au juste, votre problème avec les musulmans de ce pays ? Dans votre texte du Monde, vous invoquez la salutaire remise en cause des « si grands pouvoirs des principaux clergés », mais sans préciser en quoi l’islam – qui n’a pas de clergé, mais on ne peut pas tout savoir, hein – exerce en France un « si grand pouvoir ». Hors de la version hardcore qu’en donnent quelques furieux, la religion musulmane ne me paraît pas revêtir chez nous des formes extraordinairement intrusives ou belliqueuses. Sur le plan politique, son influence est nulle : six millions de musulmans dans le pays, zéro représentant à l’Assemblée nationale. Pour un parlementaire, il est plus prudent de plaider la cause des avocats d’affaires et de voter des lois d’invisibilité pour les femmes voilées que de s’inquiéter de l’explosion des violences islamophobes. Pas un seul musulman non plus chez les propriétaires de médias, les directeurs d’information, les poids lourds du patronat, les grands banquiers, les gros éditeurs, les chefferies syndicales. Dans les partis politiques, de gauche comme de droite, seuls les musulmans qui savent réciter par cœur les œuvres complètes de Caroline Fourest ont une petite chance d’accéder à un strapontin.

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    Je n’ignore pas, Charb, que tu as reçu des menaces de mort et qu’il y a peut-être des dingues quelque part qui en veulent à ta peau. Cela me désole. Malgré tout ce que je vous reproche, à toi et aux autres, je ne me réjouis pas de t’imaginer avec deux flics collés en permanence à tes semelles et qui coûtent un bras à votre république chérie. Je crains aussi que tes molosses ne déteignent sur toi comme Val a déteint sur toute l’équipe. Mais si vraiment vous tremblez à l’idée que les musulmans de France se métamorphosent en serial killers de la guerre sainte, peut-être trouverez-vous un brin d’apaisement en voyant la manière placide dont les intéressés réagissent aux attaques réelles ou symboliques qui sont leur lot quotidien. Quand une mosquée est recouverte de tags racistes, croyez-vous que ses responsables ou les fidèles du coin se répandent en cris de vengeance ou en promesses de mettre l’Élysée à feu et à sang ? Non, à chaque fois ils déclarent s’en remettre tout simplement à la « justice de leur pays ». Parmi ceux que je connais, l’écume médiatique de vos prouesses ne fait qu’ajouter une petite couche supplémentaire à leur lassitude. Pas sûr que j’aurais la même patience.

    Bunkérisés derrière vos zygomatiques, vous revendiquez le droit sacré de « rire » pareillement des imams, des curés et des rabbins. Pourquoi pas, si encore vous appliquiez vraiment ce principe. On oublie l’épisode Siné ou il faut vous faire un dessin ? Un constat avéré d’islamophobie, et c’est l’éclat de rire. Une mensongère accusation d’antisémitisme, et c’est la porte. Cette affaire remonte aux années Val, mais la pleutre approbation que votre patron d’alors a recueilli auprès de « toute la bande », et plus particulièrement auprès de toi, Charb, démontre que le deux poids deux mesures en vigueur à cette époque n’était pas le fait d’un seul homme. La même règle a perduré. À ce jour, me dit-on, le numéro spécial « Charia Hebdo » ne s’est toujours pas dédoublé en un « Talmud Hebdo ». Croyez bien que je ne le regrette pas.

    Vous vous réclamez de la tradition anticléricale, mais en feignant d’ignorer en quoi elle se différencie fondamentalement de l’islamophobie : la première s’est construite au cours d’une lutte dure, longue et acharnée contre un clergé catholique effectivement redoutable de puissance, qui avait – et a encore – ses journaux, ses députés, ses lobbies, ses salons et son immense patrimoine immobilier ; la seconde s’attaque aux membres d’une confession minoritaire dépourvue de toute espèce d’influence sur les sphères de pouvoir. Elle consiste à détourner l’attention des intérêts bien nourris qui gouvernent ce pays pour exciter la meute contre des citoyens qui déjà ne sont pas à la fête, si l’on veut bien prendre la peine de considérer que, pour la plupart d’entre eux, colonisation, immigration et discrimination ne leur ont pas assigné la place la plus reluisante dans la société française. Est-ce trop demander à une équipe qui, selon vos termes, « se partage entre tenants de la gauche, de l’extrême gauche, de l’anarchie et de l’écologie », que de prendre un tantinet en compte l’histoire du pays et sa réalité sociale ?

    J’aime bien les bouffeurs de curés, j’ai grandi avec et ils m’ont inculqué quelques solides défenses contre les contes de fées et les abus de pouvoir. C’est en partie cet héritage-là qui me fait dresser les poils devant l’arrogante paresse intellectuelle du bouffeur de musulmans. La posture antireligieuse lui offre un moyen commode de se prélasser dans son ignorance, de faire passer pour insolents ses petits réflexes de contraction mentale. Elle donne du lustre à un manque béant d’imagination et à un conformisme corrodé par les yeux doux de l’extrême droite16.

    « Encoder le racisme pour le rendre imperceptible, donc socialement acceptable », c’est ainsi que Thomas Deltombe définit la fonction de l’islamophobie, décrite aussi comme une « machine à raffiner le racisme brut »17. Les deux formules vous vont comme un gant. Ne montez donc pas sur vos grands chevaux quand vos détracteurs usent de mots durs contre vous. Ces derniers jours, vous avez hurlé au scandale parce qu’un rappeur pas très futé réclamait un « autodafé pour ces chiens de Charlie Hebdo » au détour d’un titre collectif inséré dans la BO du film La Marche. Comme si votre journal n’était qu’amour et poésie, vous avez fait savoir à la terre entière que vous étiez « effarés » par tant de « violence ». Pourtant, vous ne vous êtes pas offusqués lorsque le rappeur tunisien Weld El 15 a assimilé les policiers de son pays à des « chiens bons à égorger comme des moutons ». Au contraire, vous l’avez interviewé avec tous les égards dus à un « combattant de la liberté d’expression18 ». Les violences verbales de Weld El 15 trouvent grâce à vos yeux parce qu’elles visent un régime à dominante islamiste qui veut le renvoyer en prison. Mais quand la métaphore canine se retourne contre vous, ce n’est plus du tout la même chanson. Envolée, la liberté d’expression : ralliement à la rengaine néoconservatrice sur le rap comme « appel à la haine » et « chant religieux communautariste »19.

    La machine à raffiner le racisme brut n’est pas seulement lucrative, elle est aussi extrêmement susceptible.

    Bien à vous,
    Olivier Cyran

    *
    Édit Article11 en date du 17 décembre : pour cause de trolls multiples et insistants, les commentaires sous cet article sont désormais fermés.

    1 « Non, Charlie Hebdo n’est pas raciste ! », Le Monde, 20 novembre 2013.

    2 Fiammetta Venner, « Forum social européen : un autre jihad est possible », Charlie Hebdo, 29 septembre 2004. A lire ICI.

    3 Publié le 1er mars 2006 dans Charlie Hebdo en partenariat avec L’Express, RTL, RMC, Europe 1 et France Info.

    4 Zineb El Rhazoui, « Sexe and the Syrie », Charlie Hebdo, 25 septembre 2013.

    5 Ignace Leverrier, « Vous allez être déçus : le “djihad du sexe” en Syrie n’a jamais existé », 29 septembre 2013.

    6 Pour un décorticage de cette affaire hallucinante, lire Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed, Islamophobie, comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman », La Découverte, 2013.

    7 « Pas de femmes voilées aux Restos du cœur »,www.islamophobie.net, 6 décembre 2012.

    8 Les majuscules sont fournies par la rédaction deCharlie Hebdo.

    9 « Affaire Baby-Loup : la laïcité à la barre », interview de Richard Malka par Gérard Biard, Charlie Hebdo, 6 novembre 2013.

    10 Bernard Maris, « Cette jeunesse irresponsable », Charlie Hebdo, 20 juin 2013. Quelqu’un peut-il expliquer à l’éditorialiste de « Charlie » que la djellaba n’est pas un attribut « musulman » mais un vêtement « arabe ? Un mois après cet article, et à la grande déception de son auteur, Amina Sboui claquait la porte des Femen en expliquant qu’elle ne souhaitait pas que son nom « soit associé à une organisation islamophobe ».

    11 « L’islam, ce nouveau déterminisme selon Eliacheff et Elle », www.crepegeorgette.com, 22 novembre 2013.

    12 « Le conflit sur le voile touche aussi les enfants », Elle, 13 novembre 2013.

    13 - Je suis surpris que tu accrédites par ta signature la piteuse opération de ravalement de façade de tes employeurs. Je ne doute pas de la sincérité de ton ralliement, mais je vois dans celle-ci un mauvais signe.

    14 Zineb El Rhazoui, « Les salafistes ont leur roi des Belges », Charlie Hebdo, 13 septembre 2013.

    15 Commentaires de l’article « La dernière provocation de “Charlie Hebdo” contre les musulmans »,www.agoravox.fr, 19 septembre 2012.

    16 Parmi vos sympathiques soutiens : Bruno Mégret, « Désislamiser la France », discours à l’université d’été du MNR, 27 août 2005 ; Ivan Rioufol, « Pourquoi “Charlie Hebdo” sauve l’honneur », Le Figaro, 19 septembre 2012 ; Benoît Rayski, « Tombouctou-sur-Seine : et si on tranchait les mains des dessinateurs de “Charlie Hebdo” ? », atlantico.fr, 28 novembre 2013.

    17 Lire Alain Gresh, « L’islamophobie, “Le Monde” et une (petite) censure, Nouvelles d’Orient, 5 novembre 2013.

    18 Zineb El Rhazoui, « Tunisie : l’islamisme menacé par du rap et des tétons », Charlie Hebdo, 19 juillet 2013.

    19 Lire Sébastien Fontenelle, « Un intéressant cas de foutage de gueule », Bakchich.info, 26 novembre 2013.

    HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(2)
  31. Bonjour,

    Je suis touchée par votre témoignage. J'aimerais vous rencontrer pour en discuter avec vous.

    Je suis étudiante en Science politique et j'effectue mon mémoire de Master 1 sur ce thème.

    J'ai l'image d'une marmite dont on ouvrirait pour la première fois le couvercle, y découvrant un peu naïvement ce que l'école porte en son germe : l'inégalité des chances, l'illusion méritocratique de l'élève-citoyen républicain, et un certain rejet du multiculturalisme, confusion macérant sous le couvercle efficace du mythe républicain et de la laïcité.

    Je pense qu'il est important d'avoir de vrais entretiens avec des jeune, à chaud. C'est pourquoi je sollicite votre aide pour m'aider dans ma démarche.

    J'appelle tout professeur de collège, et en particulier de 4ième/3ième à me contacter:

    emeline.combi@gmail.com

    Merci

    Emeline

    HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)
  32. Bonjour,

    Merci pour votre témoignage poignant. Journaliste, j'aimerais pouvoir vous rencontrer pour échanger à ce sujet, et ainsi pouvoir relayer votre appel. Pouvez-vous me contacter?
    Merci beaucoup,
    Clémentine

    HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)
  33. "Comme mes élèves ne sont pas moins humains que les autres, leur émotion s’est dévoilée quand ils ont entendus les noms de Ahmed Merabet, de Mustafa Ourrad, quand ils ont vu la couleur de peau et le nom de Bonjour

    merci pour ce témoignage, et pour votre implication.

    "La proximité culturelle, ethnique. Et étrangement, l’âge a fait mouche aussi : ils se sont indignés en prenant conscience que certains des dessinateurs étaient des « papys ». Des papys armés d’un crayon, face à des kalachnikovs tenues par des trentenaires."

    Ne se sentent-ils donc aucune proximité avec les non vieillards, non musulmans ou non arabes ou non noirs, mais qui sont français comme eux ? C'est effrayant ...

    Par ailleurs, comment, finalement, leur avez-vous défini l'antisémitisme ? aucune mention à l'histoire de Judas etc ? l'histoire "chrétienne" des juifs ? sinon incompréhensible évidemment...

    Votre témoignage est très inquiétant quoi qu'il en soit... ces jeunes sont en friche, il n'y a pas d'autres mots... totalement inéduqués (et je n'ai pas dit non instruits).

    Poussés seuls, sans morale, sans valeurs. Ce n'est pas à vous de les transmettre, c'est une tâche colossale et peu productive pour un seul homme face à tant de personnes. C'était aux parents... il est bien tard désormais à leur âge.

    HIIIIIIIIIIIII !!!(2)Boah...(1)
  34. Bonjour

    merci pour ce témoignage, et pour votre implication.

    "Comme mes élèves ne sont pas moins humains que les autres, leur émotion s’est dévoilée quand ils ont entendus les noms de Ahmed Merabet, de Mustafa Ourrad, quand ils ont vu la couleur de peau et le nom (...). La proximité culturelle, ethnique. Et étrangement, l’âge a fait mouche aussi : ils se sont indignés en prenant conscience que certains des dessinateurs étaient des « papys ». Des papys armés d’un crayon, face à des kalachnikovs tenues par des trentenaires."

    Ne se sentent-ils donc aucune proximité avec les non vieillards, non musulmans ou non arabes ou non noirs, mais qui sont français comme eux ? C'est effrayant ...

    Par ailleurs, comment, finalement, leur avez-vous défini l'antisémitisme ? aucune mention à l'histoire de Judas etc ? l'histoire "chrétienne" des juifs ? sinon incompréhensible évidemment...

    Votre témoignage est très inquiétant quoi qu'il en soit... ces jeunes sont en friche, il n'y a pas d'autres mots... totalement inéduqués (et je n'ai pas dit non instruits).

    Poussés seuls, sans morale, sans valeurs. Ce n'est pas à vous de les transmettre, c'est une bien trop tâche colossale, bien trop tardive, et peu productive pour un seul homme face à tant de personnes. C'était aux parents... et il est bien tard désormais à leur âge pour les leur transmettre, ces valeurs.

    HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(2)
  35. Bonsoir Chouyo,
    j'ai beaucoup apprécié votre regard sur ce qui s'est passé et surtout la manière dont vous avez conduit les débats .. et surtout été à l'écoute des élèves, sans jugements, sans mépris .. En tant qu'enseignante Freinet ,ayant une expérience d'une dizaine d'années dans une école de ZUP pas facile à Limoges , j'y suis très sensible .. Je suis actuellement en formation de Thérapeute Social avec Charles Rojzman qui a écrit plusieurs ouvrages (Bien vivre avec les autres; Sortir de la violence par le conflit ..)http://www.institut-charlesrojzman.com ;mon projet est d'intervenir dans la formation des enseignants, parce que nous ne sommes pas formés à l'écoute vraie .. Nos peurs, nos blessures nous conduisent à avoir des attitudes absolument irrespectueuses des personnes que nous avons devant nous et que nous avons le devoir d'éduquer , de faire grandir en intelligence et humanité (j'aime ce terme de respect , mais pour moi, le 1er, c'est celui que l'adulte doit à l'enfant ... lequel ne fait que reproduire ce qu'on lui donne à voir et à vivre..). Vous avez beaucoup voyagé et cela vous donne une ouverture que beaucoup n'ont pas .. se frotter aux autres , les rencontrer vraiment , sans préjugés et sans peur nous rend plus humain... Encore merci pour ce magnifique témoignage . MA

    HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)
  36. bonjour,
    J'aime beaucoup votre écoute, loin de l'attitude dangereuse de qualifier d'inacceptables les mêmes propos (et dans la bouche d'une ministre..)
    Mais je n'ai pas trouvé cité l'argument qui aurait sans doute été de poids face à l'ignorance des élèves quant à leur propre histoire.
    Ce même terrorisme, cet islamisme a tué en Algérie même, et sa cible c'était les journalistes algériens....

    http://blog.lefigaro.fr/algerie/2015/01/les-journalistes-algeriens.html

    et une citation à leur faire méditer :
    Sur les réseaux sociaux, a beaucoup circulé la célèbre phrase de Tahar Djaout, journaliste, poète et romancier algérien, tué par les islamistes en 1993 : "Le silence, c’est la mort. Si tu te tais, tu meurs. Si tu parles, tu meurs. Alors parle et meurs !"

    HIIIIIIIIIIIII !!!(0)Boah...(0)
  37. Petite erreure dans les faits: Charlie Hebdo s'est jamais moqué de Rabins. C'était un autre journal indépendant qui l'avait fait et il a été condamné pour ça.
    Sinon bel article !

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